France  : triomphe amer par François Sorton

France  : triomphe amer par François Sorton
Empressons-nous de dire tout le bien que l’on pense de Didier Deschamps, ça ne saurait durer  : il rejoint le Brésilien Zagalo et l’Allemand Beckenbauer dans la confrérie des footballeurs champions du monde comme joueur puis sélectionneur. Applaudissons-le encore pour avoir su donner un très bel état d’esprit à une équipe de France où il fait de l’individualiste Pogba un joueur sobre. Bon, c’est déjà pas mal, ça va suffire.
Paradoxe
Au nombre de buts marqués dans une finale de Coupe du Monde, la France rejoint le Brésil de 1970, c'est-à-dire que l’équipe la plus défensive a rejoint l’équipe la plus offensive. C’est un paradoxe inexplicable tant la comparaison relèverait d’une escroquerie. L’équipe de France est un miracle permanent, capable de mener 2-1 à la pause face à la Croatie en n’ayant pas tiré une fois au but. Au rayon de l’hyperréalisme, qui dit mieux  ? Elle a le goût de la gagne, un sens très pointu de l’opportunisme, une défense de fer, deux joueurs d’exception en attaque avec Griezmann et Mbappé. Dans une compétition faible, le tour est joué. Champion du monde, ce n’est pas rien, ça peut créer des adeptes, une contagion au moins nationale. Après 1998, le championnat de France avait connu une recrudescence de purs numéros 6 qui s’identifiaient au trio Deschamps-Petit-Karembeu. Les champions avaient fait des émules et la Ligue 1 était devenue soporifique et barbante au possible. A contrario, les triomphes éclairés et enlevés de l’Espagne et de l’Allemagne avaient eu un impact très bénéfique sur leurs championnats nationaux et même bien au-delà. Imaginez-vous, dans un mois, à la reprise des hostilités, une quinzaine d’équipes regroupées à 9 à vingt mètres devant leur gardien  ? Et quoi leur dire, elles ne feraient que reproduire les champions du monde. Y –a –t-il un antidote contre cette contamination  ?
Poudre aux yeux
La seule efficacité ne saurait vous offrir un label de qualité. Non seulement l’équipe de France n’est pas une très grande équipe mais elle n’est même pas une grande équipe. Plusieurs arguments interdisent cette appellation  :
- le refus d’avoir la balle  : si le football de possession n’est pas un gage absolu de réussite, avoir le moins souvent la balle pour mieux vous piéger est un aveu de faiblesse, quoi qu’on en dise. Incapables de construire une action cohérente en première intention, les Français ne pensaient qu’à contrer et à mettre sur orbite Griezmann et M’Bappé
- un alignement à 20 mètres de Lloris  : plus la compétition avançait et plus les Français reculaient. Durant une demi-heure contre la Belgique, deux lignes de 5 à vingt et trente mètres de Lloris. Hormis un libero, rien ne distinguait l’équipe de France des équipes italiennes du temps du catenaccio. Jamais une équipe championne du monde n’avait été à ce point frileuse tactiquement.
-un avant-centre nommé Giroud  : Thierry Henry, consultant à Sky en Angleterre, avait émis en 2016 un jugement péremptoire  :  «  Jamais Arsenal ne pourra être champion avec Giroud comme avant-centre  », signe de l’estime qu’il porte à son successeur. Transféré à Chelsea, Giroud cire encore le banc de touche. En faire un titulaire indiscutable en équipe de France pour l’accomplissement de basses besognes – gêner les défenseurs adverses pour jouer les seconds ballons, jouer de la tête sur les coups de pied arrêtés - montre bien le peu d’intérêt des Français pour le jeu. Faire déjouer l’adversaire est-il un projet noble  ? Pour Deschamps, oui, il n’y en a pas d’autre. Les amateurs de football - de moins en moins nombreux- ont vécu un grand moment de solitude, insensibles à un jeu qui leur échappe. Deschamps a gagné son pari  : il ne voulait pas jouer, il voulait gagner. On n’est pas obligé d’aimer, comme on n’est pas obligé d’aimer un film primé à Cannes ou un livre best-seller mondial. A chacun ses goûts  ; nous n’avons pas les mêmes que Deschamps.


François Sorton