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Une dizaine d’universitaires et chercheurs (historiens dans divers domaines, droit du sport, sociologues) se sont réunis le 16 octobre à la MSHD (Maison des Sciences humaines de Dijon – Université de Bourgogne) pour présenter leurs analyses du « Miroir du Football » François-René Simon, Bernard Gourmelen et Loïc Bervas, membres de l’AMFT (Amicale des amis de François Thébaud) y ont été invités au titre de « témoins », dans la mesure où chacun a vécu l’aventure du « Miroir » à sa manière, en relation avec F. Thébaud et des rédacteurs. |
Programme Ouverture de la journée, 9h30-9h45 Hervé Marchal, directeur de la MSH Session 1 : Un journal, des journalistes « politiques », 9h45-10h45 Le Miroir du football : un regard communiste sur le football (1959-1979) ? Léo Rosell et Jean Vigreux Le Miroir du football : une équipe au travail, Benoît Caritey Pause Session 2 : Un « autre » football est possible, 11h-12h15 La grève des joueurs de football professionnels en 1972 Laurent Bocquillon « La dignité n’est pas une valeur cotée à la Bourse des transferts » (F. Thébaud) Gérald Simon Le Miroir et la planète football Paul Dietschy Témoignages, 12h15-12h45 François-René Simon, Loïc Bervas, Bernard Gourmelen Déjeuner Témoignages, 14h30-15h François-René Simon, Loïc Bervas, Bernard Gourmelen Session 3 : « Beau jeu » et football populaire, 15h-17h Des stades pour le beau jeu. Le stade de football (professionnel) idéal vu par Le Miroir du football Philipp Didion Le Miroir du football et « l’Empire du milieu » : le « 4-2-4 », vecteur d’un football populaire en 1960 Olivier Chovaux « Ils sont foot ces Bretons ». La Bretagne au miroir du Football. François Prigent « Beau jeu » et « football libéré » : Le Miroir du football sur le terrain des émotions Karen Bretin-Maffiuletti |
Un petit retour en arrière, pour préciser les conditions de cette rencontre. En mai 2023, François Prigent, Rennais docteur en histoire contemporaine, qui s’est spécialisé dans la thématique football et politique en Bretagne au XXe siècle, contactel’AMFT : il souhaite un entretien pour évoquer le « Mouvement Football progrès » et J-Claude Trotel. B. Gourmelen et moi le rencontrons peu après. Il nous apprend alors qu’il est en relations avec la MSHD, où toute une équipe a commencé à travailler sur un projet centré sur le « Miroir du football » selon plusieurs axes : géopolitique du football, football populaire, beau jeu, défense des footballeurs, acteurs et trajectoires dans le Miroir. A cette occasion, il enregistre la collection numérisée du « Miroir » que nous lui fournissons avec plaisir, ce qui va faciliter la tâche des chercheurs. Il est impossible de relater l’ensemble des informations de cette journée, tant elles ont été riches. Les intervenants ont fait un travail de préparation impressionnant pour leurs exposés,très denses, précis, documentés. Les échanges qui suivaient ces différentes interventions ont été également intéressants : nos témoignages venaient compléter leurs analyses, et « donnaient chair » aux propos tenus. L’exercice qui consiste à rendre compte des débats est rendu d’autant plus difficile que les divers éclairages présentés par les chercheurs se recoupaient sur certains points. Aussi avons-nous choisi d’en rendre compte sous deux angles, sans suivre la chronologie de la journée. Le beau jeu Plusieurs intervenants ont souligné la cohérence et la constance des convictions affirmées par le magazine. Le football était pour François Thébaud un fait social universel : si son invention était née dans les « public schools » de l’élite anglaise, les couches populaires se l’étaient rapidement approprié sur quasi tous les continents. C’est pourquoi F. Thébaud est pionnier dans le journalisme français pour faire de longs reportages sur l’Amérique latine et que son ami Faouzi Mahjoub tiendra une rubrique sur l’Afrique, s’entourant de correspondants dans différents pays africains. Il méritait donc d’être étudié sur tous les plans, comme tout fait social d’ampleur, s’intégrant dans un environnement économique et politique: technique et tactique bien sûr, mais aussi philosophique, moral, culturel. K. Maffiuletti souligne ainsi le caractère « vivant et populaire » de ce sport, sa « célébration du monde et de l’imaginaire ouvrier ». Le « Miroir » rend compte du football professionnel mais s’intéresse aussi aux clubs amateurs qui correspondent à sa vision du football (Stade lamballais de J-Claude Trotel, SC Cavalaire de Robert Bérard etc). B. Caritay, s’étant intéressé aux collaborateurs du journal, montre comment après les premiers numéros du journal et un « écrémage », s’est constitué « un noyau dur » partageant les idées de F. Thébaud, qu’il développe ensuite par de nouvelles arrivées, jusqu’à la rupture de 1976 avec la direction du magazine. Il rappelle également que les journalistes du « Miroir » étaient des footballeurs (quelques pros et beaucoup d’amateurs) et appliquaient leurs conceptions dans les clubs du championnat « normal » où ils pratiquaient (APSAP Bretonneau et Espoir FC). Il signale que la rédaction n’avait pas un fonctionnement habituel : pas de conférence de rédaction, mais des échanges permanents au siège du journal, au café ou au restaurant du coin. Plus tard dans cette journée, François Prigent présenta une biographie très précise de F. Thébaud jusqu’à la naissance du « Miroir », réalisée à partir des 18H de vidéos d’entretiens du journaliste dans son lieu de retraite à Riec-sur-Belon, prises en 2002-2003 par Claude André (président de l’AMFT). Le « beau jeu » pour le « Miroir », divers intervenants l’ont dit, c’était le jeu offensif, faisant appel à la créativité et l’inspiration du joueur, dans la mesure où il était placé dans un cadre collectif favorable. L’équipe, ce n’est pas seulement l’addition de talents individuels ; elle doit parvenir à une œuvre commune, alliant efficacité et dimension esthétique. C’est en ce sens que F. Thébaud en parle comme d’un Art (il mettait une majuscule !), comme le rappelle K. Maffiuletti. Un jeu qui apporte du plaisir aux joueurs et suscite le plaisir partagé, les émotions des spectateurs. De ce fait, il s’opposait frontalement, comme l’ont dit plusieurs des conférenciers au « béton », au « catenaccio », se caractérisant par une défense renforcée, individuelle, et des contres. Un système de jeu impliquant fatalement la violence ou l’intimidation, les tricheries, au nom du « résultat par tous les moyens ». Une question de morale. C’était le mouvement dominant dans les années 60, venu d’Italie (Inter de Milan) d’Helenio Herrera, défendu par la 3F en France, théorisé par Georges Boulogne, sélectionneur puis DTN, accompagné par « L’équipe ». Un football prônant le travail des joueurs, la discipline militaire et les consignes données par l’entraîneur. Pour permettre sur le terrain d’organiser et d’animer un jeu collectif et offensif, le « Miroir »,par les articles de P. Lameignère en particulier (la défense de zone, la ligne et l’utilisation de la loi du hors-jeu, la passe courte etc) considérait que la défense en ligne était le moyen le plus rationnel. Ce fut l’objet de l’intervention d’Olivier Chovaux. Les échanges qui suivirent celle-ci nous permirent de préciser que si le « Miroir » défendait ardemment les équipes et entraîneurs qui l’avaient adoptée (le FC Anderlecht de Paul Sinibaldi, le FC Nantes de José Arribas, l’équipe de France 1967 de Just Fontaine pour deux matches seulement), il n’en faisait pas un dogme : il traitait avec sympathie des équipes tournées vers l’offensive, par exemple le stade de Reims ou l’AS Monaco etc, qui ne l’avaient pourtant pas adoptée. En relation avec cette idée du beau jeu, un jeune doctorant en histoire, Philipp Didion,aborda un sujet inattendu: le stade idéal selon le « Miroir ». Celui qui permettrait aux joueurs sur le terrain et aux spectateurs dans les tribunes de le pratiquer ou de le voir dans les meilleures conditions. En effet, le « Miroir » s’intéressait aux conditions matérielles de la pratique du football, pas seulement pour les stades. Une autre notion qui comptait pour le « Miroir », c’était l’humanisme. Dans une intervention intitulée « La dignité n’est pas une valeur cotée à la bourse des valeurs », une citation extraite d’un édito de F. Thébaud, Gérald Simon (spécialiste en droit du sport) retraça le combat des footballeurs pour le « contrat à temps », à la place du « contrat à vie » (35 ans) imposé aux joueurs depuis la naissance du professionnalisme en 1930 en France. Ils étaient totalement liés au pouvoir de leur employeur (leur propriétaire ?) pour leur transfert. Les dirigeants regimbaient à appliquer ce contrat à temps pourtant acquis en 1969. Au congrès de l’UNFP (syndicat des joueurs), à la suite duquel certains furent sanctionnés par leur club, ils décidèrent la grève en 1972, très suivie, et obtinrent satisfaction sur leur revendication. Ce contrat à temps était déjà objet de campagnes par F. Thébaud du temps où il était à la rubrique football au « Miroir-Sprint », qu’il poursuivit avec le « Miroir du football », et pris la défense de Raymond Kopa auteur d’un article retentissant paru en juillet 1963 dans « France Dimanche « Les footballeurs sont des esclaves », comme l’a rappelé G. Simon. Ce grand du football subit pour cet article les attaques de la 3F, relayées par « L’Equipe ». C’est pour leur dignité aussi que Thébaud mena des campagnes contre les concours de pronostics (« Les joueurs ne sont pas des chevaux ») ou les publicités sur les maillots (« Les joueurs ne sont pas des hommes-sandwichs ».) Ou qu’il fit une rubrique intitulée « Il y a des joueurs en France » au moment où les dirigeants de la 3F, les sélectionneurs les méprisaient, les injuriaient, ainsi que « L’Equipe ». Un journal politique ? Cette journée d’études était intitulée « Le Miroir du football : un autre sport dans la presse rouge ? » La première session : « Un journal, des journalistes « politiques ». La première intervention de Léo Rosell et Jean Vigreux : « un regard communiste sur le football ». Cette problématique du rapport du magazine à la politique a traversé de nombreuses interventions. L’unanimité de celles-ci s’est faite sur l’autonomie de la rédaction par rapport au PCF, qui était propriétaire des éditions « Miroir sprint ». Et sur le fait que le « Miroir » des origines s’est arrêté en 1976, après la rupture, même si le titre a survécu jusqu’à 1979. Nous avonsexpliqué que F. Thébaud avait été aux jeunesses communistes avant la guerre 39-45, et qu’il en avait été exclu en 1935 comme bien d’autres de ses camarades parce que le PCF avait défendu le pacte de défense Laval-Staline, qu’ils jugeaient contre nature. Une confidence qu’il nous avait faite en privé, non pas pendant les années Miroir mais bien plus tard lorsqu’il était à Riec-sur-Belon. François aimait raconter un fait survenu à la fin des années 40 qui l’avait « vacciné » de l’intrusion de la politique. Dans une conférence de rédaction à « Ce soir », un journal tenu également par le PCF, il avait dit vouloir faire un article sur le match France-Yougoslavie, qualificatif pour la Coupe du monde. On lui avait répondu avec indignation qu’on « n’allait pas parler des titistes », Tito n’étant pas en odeur de sainteté au Kremlin. Le résultat : « Ce soir » avait fait sa couverture de une sur un obscur match de D2 de la région parisienne réunissant quelques dizaines de spectateurs, et placé à l’intérieur le France-Yougoslavie et ses 50 000 spectateurs ! Comme l’ont établi des intervenants, F. Thébaud a su marquer son territoire dès le début du « Miroir », malgré les tentatives d’interventions régulières de Maurice Vidal, le directeur du journal, en mettant en jeu sa démission. Lorsque les journalistes du « Miroir » avec leurs amis footballeurs occuperont le siège de la 3F pendant quelques jours en mai 1968, « L’Humanité » condamnera cette initiative « gauchiste ». Pourtant, Maurice Vidal fera pour la première fois un article dans le « Miroir» en défense des journalistes, par ailleurs citoyens à part entière. Nous avons expliqué pendant cette journée d’études les circonstances de la rupture. Après la Coupe du monde 70, les éditions « Miroir Sprint » passent sous la coupe des éditions Vaillant, liées au PCF. Jean-Jacques Faure, permanent du PCF et co-auteur du livre « Les communistes et le sport » devient rapidement président des éditions « Miroir Sprint » et va organiser la « reprise en main « du journal, selon la formule de Leo Rosell. Maurice Vidal passe complètement du côté de la direction : il commence en 1973 à envoyer des notes, auxquelles F. Thébaud répond à chaque fois en mettant en jeu sa démission. Et la Coupe du monde 1974 en Allemagne arrive : le « Miroir » bimensuel décide d’envoyer 7 journalistes et de produire 4 hebdomadaires pour la couvrir. Ceux-ci sont unanimes dans leurs reportages pour dire que cette Coupe du monde n’est pas d’un grand niveau, et que son vainqueur l’Allemagne n’est pas flamboyant. Or, pour la deuxième fois, Maurice Vidal décide d’écrire un article. Et Il l’intitule « La Fête » ! La guerre est déclarée… C’est le moment où Saint-Etienne se distingue en Coupe d’Europe. L’équipe renverse la situation contre Hadjuk Split : battue 4-1 à l’aller, elle s’impose 5-1 au retour en novembre 1974. Elle arrive en finale lors de la suivante Coupe d’Europe. « La fièvre verte » est lancée. Un déferlement de chauvinisme, les débuts du « supportérisme » : le public comme « douzième homme ». Bien que battue par le Bayern de Munich 1-0, elle défile sur les Champs-Elysées. Le « Miroir » a des réactions mêlées sur cette équipe. Sur le plan du jeu, il est très sceptique : il juge son jeu fruste. Et que des matches à domicile ont été aidés par des décisions d’arbitres tétanisés dans « l’enfer vert » du stade Geoffroy-Guichard. En revanche, il considère que les résultats de cette équipe ont eu un effet positif : ils ont sorti les joueurs français de leur complexe d’infériorité inculqué par leurs sélectionneurs et l’Equipe, qui les traitait de « juniors dans un jeu d’hommes » par exemple. Il va même demander que l’équipe de France, qui n’obtient que de piètres résultats, sanctionnés par des absences en Coupe du Monde ou en Championnat d’Europe, soit formée sur la base de cette équipe. Mais la direction considère que ses journalistes sont trop négatifs parce qu’ils refusent d’épouser le courant dominant. Une avalanche de « mémos » de pression de la part de la direction, des journaux spéciaux ou un questionnaire aux lecteurs très orienté, inséré à l’insu du rédacteur en chef et autres vexations et menaces. Le patron des Editions Vaillant lui dit que le PCF, lancé dans l’Union de la gauche, veut donner une image positive sur tous les plans. F. Thébaud écrit son dernier édito en mars 1976. La direction nomme Francis Le Goulven rédacteur en chef. Thébaud s’en va, attaque la direction pour rupture de contrat. Ce qui entraîne la démission des principaux rédacteurs et de très nombreux pigistes. B. Caritay signale « un renouvellement presque complet » de la rédaction. Après 1976, c’est un autre journal jusqu’en 1979. Leo Rosell a montré un article de G. Marchais dans le « Miroir » en 1977 : impensable avec F. Thébaud ! On a pu constater dans les interventions des historiens comme dans celles des témoins,tous les combats qu’a menés le « Miroir » pendant ces 16 ans d’existence. Etait-ce un journal engagé ? Oui, si l’on considère qu’il s’attaquait à tous les pouvoirs. Le pouvoir sportif d’abord : la direction de la 3F, pour son absence de démocratie et son mépris des footballeurs, sa direction technique, où G. Boulogne préconise un football laborieux et triste, à l’opposé du football-art exalté par F. Thébaud. Le pouvoir politique : par exemple, l’élément déclencheur du MFP (Mouvement Football progrès) en février 1974, était dû à la réaction des footballeurs contre un décret du ministère des sports en juin 1973, qui imposait à tous les clubs de DH de posséder un diplôme d’Etat. Et c’était la DTN de la 3F qui était chargée d’’accorder les diplômes. Le pouvoir économique : le football devient un moyen de profit. Le pouvoir médiatique : la presse conformiste (le groupe l’Equipe et de nombreux journaux de la presse régionale). Mais toutes ces critiques, tous ces combats étaient déclenchés parce que le « Miroir » considérait que ces pouvoirs étroitement mêlés dégradaient le football. F. Thébaud considérait que le football était une fin en soi, et non un moyen d’accompagner une politique. C’est d’ailleurs la raison profonde du désaccord existant dès le début entre lui et la direction du journal, comme nous l’avons dit dans cette assemblée. Son éditorial du numéro 1 était, nous dirions, un « Manifeste du parti… du bon football ». Et tous ceux qui s’y retrouvaient avaient leur place au « Miroir ». C’était l’unique critère de recrutement de collaborateurs, quelles que soient leurs convictions politiques personnelles. En ce sens, ce n’était pas un journal politique, mais un journal sportif. « Unique en son genre », comme l’a dit un des conférenciers. G. Simon, dans son intervention, a dit : « Je suis un amoureux de cinéma, et dans les années 60-70, j’étais abonné aux « Cahiers du cinéma ». Et pour le foot, c’était « Le Miroir du football ». Une comparaison flatteuse. Cette journée consacrée à ce journal de référence, 50 ans plus tard, a été une belle reconnaissance pour F. Thébaud et son magazine. |