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Coupe du monde 1904-1998 *
Un Miroir du siècle Texte inédit de François Thébaud
DEUXIEME PARTIE Le temps des artistes (1950-1962) ENFIN LE BRESIL  !

Chapitre VII
Stockholm 1958
ENFIN LE BRESIL  !

La FIFA a une nouvelle fois violé la règle de l’alternance au profit de l’Europe en offrant l’organisation de la phase finale de la VIème Coupe du monde à la Suède. Est-ce pour consolider l’avantage acquis à Berne aux dépens de l’Amérique du Sud grâce à la victoire de la RFA, qui porte à trois contre deux le nombre des succès de l’ancien continent dans son duel avec les pays d’Outre-Atlantique  ? Ce n’est pas impossible car Jules Rimet, qui avait des raisons personnelles de respecter les droits des Sud-Américains, a quitté la présidence de la FIFA après avoir remis la coupe qui porte son nom à Fritz Walter. Son successeur, le Belge Seeldrayers, est décédé en 1955 et c’est un Anglais, Arthur Drewy, qui le remplace

Pour l’organisation de la cinquième Coupe du monde, la FIFA a choisi encore un pays épargné par la guerre et, comme il doit se trouver en Europe, la désignation de la Suisse semble particulièrement judicieuse en raison de sa situation géographique, des efforts consentis pour l’agrandissement et l’amélioration de ses stades, de la bonne réputation internationale de son football. Le Comité d’organisation, dans lequel on remarque la présence de l’Italien Mauro et de l’Anglais Stanley Rous, va malheureusement s’illustrer par une série de décisions dont l’extravagance dissimule, on le verra, des calculs qui ne servent pas la cause du football.

Quatre équipes britanniques  !

On va tout de suite constater les conséquences de cette élection. Si le nombre des concurrents de la Coupe du monde a continué sa progression avec cinquante et une équipes engagées, la phase finale sera comme auparavant disputée par seize équipes, dont quatre appartiennent à la Grande-Bretagne  ! Trois d’entre elles se sont qualifiées de manière régulière  : l’Angleterre, l’Ecosse, l’Irlande du nord. Cette dernière de brillante manière, en éliminant l’Italie et le Portugal. Mais le Pays de Galles, régulièrement éliminé par la Tchécoslovaquie, se voit offrir un repêchage organisé afin de donner à Israël l’adversaire dont l’a privé l’abstention de l’Indonésie. Galles bat Israël à Cardiff et devient le quatrième représentant de la Grande-Bretagne. Pour une nation qui a ignoré l’existence des trois premières Coupes du monde, quel privilège  ! Bien joué, M. Drewy  ! Il ne manifeste pas la même largeur d’esprit lorsqu’il s’agit de deux continents comme l’Asie et l’Afrique qui se partageront un seul représentant, lequel sera l’Egypte. Dans les années cinquante, une manifestation aussi ostensible de mépris ne suscite aucune réaction dans le monde du football.

Douze à trois

Arthur Drewy pense peut-être que l’entrée de l’URSS dans la phase finale où elle rejoint trois autres équipes de l’Est (Yougoslavie, Hongrie, Tchécoslovaquie) constitue une preuve suffisante de son libéralisme. En tout cas l’Europe bénéficiera d’une surreprésentation puisqu’elle aura douze équipes sur seize, l’Amérique du sud se contentant de trois équipes ( Paraguay, Argentine et Brésil).c’est dire les chances de l’Europe, dont M. Drewy est devenu le champion. L’absence de l’Uruguay, qui n’a pas digéré sa défaite de Lausanne, la première subie en Coupe du monde, ne semble pas compensée par la présence du Paraguay, surprenant vainqueur de l’Uruguay et de la Colombie.

L’argentine a bien condescendu à reprendre sa participation interrompue depuis 1934, mais ses brillants attaquants Sivori, Maschio, Angelillo, vedettes du championnat sud-américain 1957, ont émigré dans les clubs italiens, où ils imiteront les Monti, Orsi, Guaita et De Maria de 1934. Enfin, le Brésil, difficile vainqueur du Pérou (1-0 et 1-1) dans la phase qualificative, n’a pas encore fait oublier la déception laissée en Suisse.


Un phénomène de 17 ans

Comme en 1954, les seize équipes ont été réparties en quatre groupes dont les deux premières classées accéderont aux quarts de finale. Mais retour à la logique, chacune jouera trois matches. Le groupe IV, qui réunit Angleterre, Autriche, URSS et Brésil, est impressionnant  ? Vainqueur facile de l’Autriche, le Brésil tenu en échec par l’Angleterre (0-0), titularise pour affronter l’URSS, qui a réalisé les mêmes résultats, un attaquant de 17 ans, Edson Arantès do Nascimento, surnommé Pelé, un ailier droit surnommé Garrincha et un demi offensif surnommé Zito. Expérience positive  : le Brésil gagne 2-0, malgré le fameux gardien Yachine. Ce sont surtout les dribbles de Garrincha qui ont mystifié la défense soviétique et Vava qui signé les deux buts. L’URSS terminera seconde du groupe, après avoir battu l’Angleterre en match d’appui, tandis que le Brésil est premier.

Le sort de l’Argentine est moins enviable  : une victoire sur l’Irlande, mais deux défaites face à l’Allemagne et à la Tchécoslovaquie, la seconde sur le score de 6-1, lui valent l’élimination et une réception humiliante à l’aéroport de Buenos-Aires sous une pluie de pièces de monnaie. L’Allemagne et la surprenante Irlande se qualifient. La Suède et le Pays de galles en feront autant aux dépens du Mexique et de la Hongrie, ombre de la grande formation de 1954 démantelée par l’intervention militaire soviétique de 1956.

Kopa-Fontaine  : des buts  !

Le groupe II a offert dès son premier match un spectacle de football offensif dans la ligne tracée par la Coupe du monde 1954  ; grâce à une vedette inattendue. L’équipe de France, longtemps vouée aux rôles de second plan, est métamorphosée par un style rémois qu’elle doit dans la sélection aux dix joueurs du meilleur club de l’hexagone, à son entraîneur Albert Batteux et à son sélectionneur Paul Nicolas. On doit aussi à ce dernier la présence de Raymond Kopa qui vient de remporter, avec le Real Madrid où il a été transféré, sa seconde Coupe d’Europe des clubs.

C’est lui qui va orchestrer magistralement le jeu offensif de l’équipe française et donner à Justo Fontaine des occasions de but qui lui permettront d’établir un record (13 buts) qui n’a toujours pas été accroché quarante années plus tard. Jean-Jacques Marcel, Jonquet, Vincent, Piantoni, Lerond, Douis, Wisnieski seront les individualités marquantes d’un ensemble dont la cohésion tactique est garantie par l’adhésion au jeu constructif de la base rémoise. Cette équipe a débuté de manière sensationnelle en battant sur le score de 7-3 une équipe du Paraguay à la vitalité débordante.


Une seconde victoire sur l’Ecosse lui assure la qualification aux quarts de finale, que ne compromet pas une défaite-surprise devant la Yougoslavie. L’Irlande est dominée et éliminée (0-4) par une formation par une formation confiante dans ses moyens, qui rejoint l’Allemagne, la Suède et le Brésil dans l’avant-dernière étape de la course à la suprématie.

C’est, malheureusement pour elle, le Brésil que le sort va lui opposer en demi-finale à Stockholm, le Brésil que le jeune Pelé a qualifié grâce à un superbe exploit technique réalisé au milieu d’une équipe galloise entièrement repliée devant son gardien et sans autre ambition que d’éviter un score écrasant.

Digne d’une finale

Le match que le Brésil et la France vont offrir au Rasunda Stadion sera considéré à l’issue de la compétition comme le meilleur, en raison de la volonté offensive des deux équipes et de la qualité exceptionnelle des joueurs à son service, qui multiplieront les exploits tout au long des 90 minutes.

Le Brésil l’emporte mais l’écart de 5-2, illustré par quatre superbes réalisations brésiliennes (trois de Pelé, une de Didi) et un magnifique but de Fontaine servi par Kopa, aurait été probablement moins ample si Jonquet, blessé dans un choc avec Vava, n’avait pas dû quitter le terrain à la mi-temps.

En battant l’Allemagne (6-3) dans le match pour la troisième place, l’équipe de France confirma l’excellente impression laissée par son brillant duel avec le Brésil. Si la Suède, difficile vainqueur de la RFA en demi-finale, subit en finale le même score que la France devant le Brésil (5-2), la supériorité des Sud-Américains sur l’équipe de Suède, menée par les vétérans Liedholm et Gren, s’affirma plus rapidement et avec plus d’évidence que devant la France.

Le jeu collectif préparé par Nilton Santos, Zito et Didi permettait les inarrêtables débordements de Garrincha sur l’aile droite, les reprises de volée de Vava et les géniales prouesses de Pelé, encore auteur de deux buts.

Triomphe des valeurs sportives

La victoire du Brésil a donc été la victoire de cette conception ludique et artistique du football qui a jeté ses premiers feux en 1938 avec Leonidas, Domingos, Tim et leurs coéquipiers, qui s’est affirmée en 1950 avec Ademir, Jair, Zizinho, et qui s’est imposée en 1958, après avoir été reniée dans les faits en 1954.

On a attribué à tort l’invention du 4-2-4 au Brésil en 1958. Ce dispositif tactique était celui de la Hongrie en 1954, avec une ligne arrière formée par Buzansky, Lorant, Zakarias, Lantos, deux demis Boszik et Hidegkuti, quatre avants Budai, Kocsis, Puskas et Czibor (Hidegkuti se portait fréquemment au centre de l ligne d’attaque.

Il faut ajouter aussi que le Brésil a été tout simplement la victoire du sport sur les calculs du président anglais de la FIFA, persuadé d’avoir réuni toutes les conditions pour offrir le titre mondial à la Grande-Bretagne, ou au pire à un pays européen, en même temps qu’un avantage définitif sur le football sud-américain, avant-garde du football du «  tiers-monde  ».

Mais si les valeurs sportives ont pu s’exprimer de manière aussi brillante dans cette Coupe du monde qui s’est déroulée sans incident et sans contestation, à quoi faut-il ce fait que les manœuvres de M. Drewy ne permettaient pas de prévoir  ?

La Suède et l’Europe

La situation géographique de la Suède à la périphérie du continent, ajoutée au statut de neutralité, qui l’a maintenue hors de la guerre comme la Suisse et plus loin de l’antagonisme Est-Ouest, a sans doute contribué au climat serein de la compétition, dans laquelle l’arbitrage n’a jamais joué un rôle déterminant. Pourtant, la situation politique du monde n’est pas au beau fixe comme l’été scandinave quand s’engage le premier match le 8 juin.

La mort de Staline en 1953 a autorisé l’espoir d’une libération du régime soviétique et la participation de l’URSS à cette compétition semble le confirmer. Mais l’année 1956 a été marquée par une recrudescence de la tension internationale. Les chars soviétiques ont brutalement réprimé le soulèvement populaire de Budapest et la «  normalisation  » s’est traduite par l’exécution de Imre Nagy le réformateur. L’expédition franco-britannique appuyée par l’armée israélienne, après la nationalisation du canal de Suez, a été interrompue de justesse par l’action des USA et de l’URSS.


Mais en Algérie, la guerre de libération commencée en 1954 ne laisse pas espérer une issue à court terme. Les fusées intercontinentales sont l’objet d’accords et de désaccords entra l’Ouest et l’Est. Il y a d’autres événements politiques moins sombres, comme l’acquisition pacifique de l’indépendance par le Maroc, la Tunisie et le Ghana. Les impressionnants progrès technologiques, révélés par les débuts de la conquête de l’espace par le «  spoutnik  » et le satellite Explorer sont accueillis avec optimisme.

Le contexte général de cette Coupe du monde ne semblait donc pas exceptionnellement favorable à une compétition internationale très sensible à son environnement. Il faut donc attribuer à la situation particulière de la Suède en 1958 le mérite essentiel du succès sportif de son organisation. Quant à la victoire que le Brésil attendait depuis 1938, la spectaculaire progression de son économie, qui a valu au pays «  sous-développé  » qu’il était de talonner les riches nations occidentales, y a contribué dans une large mesure, en donnant à ses footballeurs la conscience de leur valeur.