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Si la FIFA a chargé l’Angleterre d’organiser la phase finale de la VIIème Coupe du monde, ce n’est pas Stanley Rous qui l’a décidé. La décision a été prise en 1960, alors que le président de la Fédération internationale était Arthur Drewry, son compatriote. Mais il n’est pas interdit de penser qu’une personnalité plus affirmée ait eu une affluence déterminante sur le choix de l’Angleterre. En revanche, on sait que lorsque le stade de l’organisation pratique a été abordé en 1964, Stanley a pris la direction des opérations. L’Afrique se retire Soixante-dix pays s’étaient engagés, représentant les cinq continents. Pour réduire à quatorze le nombre des équipes qualifiées aux côtés de l’Angleterre et du Brésil, il y avait bien sûr la phase éliminatoire, où les résultats réalisés sur le terrain constituaient les critères de qualification. Mais la FIFA fit savoir qu’elle entendait procéder elle-même à une première sélection, en réservant dix places à l’Europe, quatre à l’Amérique du Sud, une à l’Amérique centrale et une à l’ensemble Afrique-Asie-Océanie. Les quinze pays qui s’étaient engagés, jugeant avec raison qu’on se moquait d’eux, décidèrent de se retirer, tandis que la Corée du Nord se qualifiait en battant l’Australie son unique adversaire, au cours de deux matches disputés sur le stade neutre de Phnom-Penh. La « World Cup » commençait d’une manière inquiétante, ce qui suscita très peu de réactions en Europe, où le milieu du football ne s’intéressait qu’aux éliminatoires européennes. Même lorsque Stanley Rous, oubliant le devoir de réserve du président de la Fédération internationale déclara : « L’Angleterre doit être finaliste ou perdre la face ». La presse française publia l’information sans y trouver matière à critique. En Amérique du Sud, le sort des Africains, Asiatiques et Océaniens avait mis en alerte l’opinion publique. Ce que l’on pouvait constater en janvier 1966 dans les cinq pays de l’Amérique latine qualifiés pour la phase finale. Avec tant de surprise que l’article publié par un journal sportif de Rio de Janeiro parut mériter d’être cité dans « Miroir du Football » en raison de son côté…excessif. « Contre notre équipe, écrivait le journaliste carioca, il y aura un complot international principalement européen. Pour arriver au titre, le Brésil devra vaincre non seulement les adversaires, mais aussi la violence, la provocation, les arbitres. Tout. Elle jouera en Angleterre où l’ambiance sera absolument hostile. Les Anglais désirent le championnat pour eux, mais ils désirent dans le pire des cas que le titre reste en Europe ». Des propos paranoïaques ? Ces propos, confirmés au cours de conversations avec des Brésiliens de milieux sociaux différents, parurent si extravagants qu’ils furent qualifiés en Europe de sornettes imputables à la crainte des Brésiliens de rééditer en Angleterre les mauvaises performances réalisées par leur équipe nationale lors d’une tournée européenne en 1963. Il en fut de même lorsque le journal argentin à gros tirage « Clarin » de Buenos-Aires publia le 13 juin 1966, lors du départ de l’équipe pour Londres, les « conseils » suivants aux joueurs sous le titre « Attention ! » : « Nous devons battre la cinquième colonne qui voyage avec la sélection (!), le cynisme et la simulation doivent faire partie du bagage tactique du football… Si l’adversaire met la semelle, il faut répondre en mettant la semelle. Mais ne jamais prendre la pose du boxeur. Dans les parties qui tournent mal, si l’on n’arrive pas à geler le ballon, il faut recourir à la simulation. Choisir un joueur qui accomplisse la mission de se jeter à terre. Une blessure simulée amène l’interruption de la partie… » Etait-ce une manifestation de délire paranoïaque ? « Clarin » s’expliquait toujours « à la une » : « La grande guerre Europe-Amérique du Sud est en marche. En Angleterre, tout sera fait pour porter préjudice à l’Amérique du Sud et spécialement au Brésil, qui a su battre toute l’artillerie préparée dans les bureaux de la FIFA. Pour le football européen, il est d’une importance fondamentale que l’un de ses représentants soit champion du monde. Faisons cause commune avec le Brésil, l’Uruguay, le Chili et le Mexique pour éviter que l’arbitrage nous soit hostile. Agissons maintenant pour éviter de pleurer ensuite ! » Les faits devaient bientôt prouver que ces propos, apparemment inspirés par un chauvinisme puéril, reposaient sur un fond de vérité et que le principal moyen utilisé par Stanley Rous pour éviter que le football anglais « perde la face » était précisément l’arbitrage. Un domaine qu’il connaissait bien pour avoir été l’un des « referees » internationaux de la « Football Association ». Avec son compatriote Aston, retiré depuis peu de l’arbitrage actif et nommé président de la Commission des arbitres de la « World Cup », ils allaient constituer un tandem d’experts qui se manifesta avant le coup d’envoi par le choix de sept arbitres britanniques parmi les trente et un arbitres de la phase finale. Une proportion de « nationaux » jamais atteinte. L’exécution des Sud-Américains On eut tôt fait de constater que l’importance de ce contingent ne devait rien au hasard. Sur les trois matches joués par le Brésil, le premier (contre la Bulgarie) fut dirigé par l’Allemand Tschencher assisté à la touche par les Anglais Mac Cabe et Taylor. Le second (contre la Hongrie) fut dirigé par le Britannique Dagnal, assisté à la touche par Howley. Le troisième (contre le Portugal) par le trio britannique Mac Cabe, Callaghan, Dagnal. Dans le premier de ces matches, le Bulgare Jetchev put « matraquer » impunément Pelé, l’empêchant ainsi de participer au second, perdu devant la Hongrie qui, avec Albert, Bene et Farkas, avait retrouvé le goût de l’offensive. Dans le troisième, l’arrière portugais Morais blessa Pelé au cours d’une agression manifestement préméditée, sans subir le moindre avertissement. Avec dix joueurs valides, le Brésil disparut de la compétition. Le tenant du titre hors course, les arbitres de Stanley Rous avaient à régler le sort d’un autre champion, l’Uruguay, coupable d’un crime de lèse-majesté en tenant en échec l’Angleterre (0-0) dans le premier match de la compétition, et qui affrontait l’Allemagne en quart de finale. Un Anglais, Finney, fut chargé de l’exécution. Alors que le score était de 0-0, un tir de l’Uruguayen Goncalvez surprit le gardien allemand, mais l’arrière Schnellinger détourna de la main au-dessus de sa tête le ballon qui allait pénétrer dans le but. La faute était flagrante pour les 40 000 spectateurs de Sheffield et la presse devait publier le lendemain les photos qui le confirmaient. Flagrante, sauf pour l’arbitre bien placé pour constater la réalité mais décidé à ignorer le penalty qui s’imposait, avant d’expulser les deux Uruguayens Troche et Rocha, coupables d’avoir protesté. Ce qui permit à l’Allemagne d’éliminer une équipe réduite à neuf joueurs. Le même jour à Wembley, l’arbitre allemand Kretlein se chargeait de « renvoyer l’ascenseur » en privant l’équipe d’Argentine, opposée à l’Angleterre, du concours de son capitaine Ubaldo Rattin, expulsé pour avoir contesté l’une de ses décisions. Aucune équipe n’avait encore pris l’avantage. A onze contre dix, l’Angleterre l’emporta. Après avoir enregistré la victoire anglaise (1-0), la Commission de discipline frappa trois joueurs argentins, coupables d’avoir protesté, de peines de suspension et l’Association argentine d’une amende assortie d’une menace d’exclusion de la Coupe du monde de 1970. Quant à Alf Ramsey, le directeur technique de l’équipe d’Angleterre, il s’illustra après le match par une injure à l’adresse des Argentins que la presse unanime releva avec indignation : « Animals ! » Ce propos méprisant n’eut pas le don de scandaliser les autorités anglaises, puisque Ramsey fut récompensé après la victoire finale par un titre de noblesse. Comme Stanley Rous, bien sûr, le maître d’œuvre de l’élimination des Sud-Américains. Cette première tâche achevée, restait à se débarrasser d’un autre gêneur, l’URSS, qui avait battu régulièrement en quart de finale une équipe de Hongrie redevenue compétitive. En demi-finale, Yachine et ses coéquipiers constituaient un danger réel pour l’Allemagne. L’Anglais Finney ayant rendu aux coéquipiers de Schnellinger le service que l’on sait, et l’Allemand Kretlein ayant réglé aux dépens de l’Argentine sa dette à l’Angleterre, un arbitre italien, Lo Bello, fut désigné. Dans un match d’une incroyable violence, où les deux équipes parurent disputer une prolongation à la guerre qui avait opposé leurs deux pays, le rôle de l’arbitre était essentiel. Hasard sans doute, les adversaires de l’équipe d’Allemagne, handicapés d’abord par la blessure subie en première mi-temps par Sabo, furent privés avant le repos de l’ailier Tchislenko, leur meilleur attaquant, expulsé pour avoir rendu à Held le coup de pied décoché par Schnellinger (encore lui !), qui l’avait blessé au genou. Les illusions de la RFA Pouvait-on attendre de l’Angleterre et de l’Allemagne, qualifiées pour la finale grâce à la collaboration « croisée » de leurs arbitres, qu’elles jouent enfin un match où seules compteraient les valeurs sportives¸ dont l’arbitre suisse Dienst assurerait la régularité ? On eut cette illusion jusqu’à la dixième minute de la prolongation d’une partie médiocre. Alors que le score était de 2-2, un tir de l’attaquant anglais Hurst rencontra la barre transversale et la balle rebondit sur le sol. Sans hésitation, l’arbitre indiqua le centre du terrain, avant de céder aux protestations des joueurs allemand et de consulter le juge de touche, lequel confirma catégoriquement que le ballon avait franchi la ligne de but, ce qui était pour le moins douteux. Ce juge de touche s’appelait Bakramov et n’avait pas oublié la façon dont l’Allemagne avait battu ses compatriotes en demi-finale. C’est donc grâce à une décision d’arbitrage très contestable et abondamment contestée que l’Angleterre réalisa la volonté de Stanley Rous. Il y eut bien un quatrième but anglais, mais il fut obtenu dans la confusion alors que des spectateurs, occupant le terrain de jeu, auraient dû le frapper de nullité. La World Cup des arbitres L’appellation de « World Cup des arbitres », donnée par le journaliste belge Roger de Somer à cette Coupe du monde, ne manque pas de justifications comme on a pu le voir. Stanley Rous, rassuré par sa réélection à la présidence de la FIFA la veille du coup d’envoi de la compétition, avait eu l’audace d’offrir à l’équipe d’autres avantages. C’est ainsi qu’elle put jouer ses six matches au stade de Wembley, c’est-à-dire devant le plus grand nombre de spectateurs anglais, qui se comportèrent d’ailleurs comme des supporters particulièrement chauvins. C’était aussi un avantage technique, ses joueurs profitant pour leurs évolutions de points de repère ignorés de leurs adversaires dont les matches avaient eu lieu dans d’autres stades. C’était un handicap évident pour l’Argentine en quart de finale, pour le Portugal en demi-finale et pour l’Allemagne en finale. Mais ce privilège n’empêcha pas le Comité d’organisation d’interdire aux joueurs argentins _ désireux de s’entraîner à Wembley durant vingt minutes comme le prévoyait le règlement_ l’accès du terrain. C’est dire que Stanley Rous n’hésitait pas à franchir les limites de la légalité pour atteindre le résultat promis à ses compatriotes. Si le gouvernement travailliste de Mr Wilson lui a témoigné sa reconnaissance en lui décernant un titre de noblesse, la colère suscitée en Amérique latine et en Afrique a déclenché cette guerre Nord-Sud évoquée par la presse argentine, qui préfigurait dans le monde du football l’antagonisme des pays industrialisés et du tiers-monde. Dans l’immédiat, le machiavélisme de Stanley Rous avait fini par indisposer plusieurs dirigeants des fédérations de l’Europe occidentale. Les Français notamment dont l’équipe avait été victime dans son match du premier tour contre l’Angleterre de deux scandaleuses décisions d’arbitrage du Péruvien Yamasaki, un ami dévoué du président anglais de la Commission d’arbitrage. Les Allemands, eux, avaient espéré jouer une finale dans les règles. Ils furent cruellement déçus. Quant à l’équipe d’Angleterre, elle dut payer en 1970 et 1986 la note d’une victoire qu’elle ne méritait pas. Et puis vint le jour où le congrès de la FIFA préféra installer dans le fauteuil présidentiel Joao Havelange, un… Brésilien. Les votes des délégués des nations africaines ne laissèrent aucune chance à Stanley Rous en 1974. La seule note sportive Comment expliquer la mollesse des réactions européennes face à cette Coupe du monde, dont le scandaleux déroulement ne fut stigmatisé que plusieurs années après les faits dans la plus grande partie de la presse ? Depuis 1960, le « réalisme » a commencé la conquête de l’Europe du football. La Coupe du monde 1962 en a montré les premiers dégâts. Les frustrations du football anglais dans cette compétition, où il n’a subi que des échecs, après avoir manifesté pour elle un long mépris, aident à comprendre ce qui a poussé Stanley Rous et ses amis à utiliser, pour atteindre leur objectif, des moyens plus efficaces que les arguments sportifs. Mais si le « réalisme » commence à s’imposer dans la compétition du football, n’est-ce pas parce qu’il s’impose dans la vie du monde, où la « détente » a succédé à la « guerre froide », sans apporter à la vie des peuples l’espoir d’une paix durable et d’une réelle amélioration de leur sort ? Dans cette Coupe du monde, la Corée du nord a bien apporté une bouffée d’oxygène en éliminant à la surprise générale l’Italie, en manquant de très peu l’accès aux demi-finales, après avoir mené 3-1 contre le Portugal d’Eusebio et en pratiquant un jeu offensif mieux construit que la plupart des grandes équipes européennes. Si les dirigeants du football coréen avaient eu l’ouverture d’esprit des techniciens hongrois de 1954, le football asiatique aurait su tirer les enseignements d’une expérience aussi intéressante et apporter une contribution originale à la progression d’ensemble du football du Tiers-monde. Sans les exploits de Pak-do-Ik et de ses coéquipiers, les footballeurs n’auraient tenu qu’un rôle accessoire dans la « World Cup des arbitres »… |