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Pourquoi la FIFA a-t-elle attribué au Mexique l’organisation de la 13ème Coupe du monde seize années après qu’il a pris en charge sa neuvième édition ? Parce que la Colombie, d’abord choisie par la Fédération internationale, n’est pas en mesure de satisfaire aux conditions exigées par une compétition de cette importance. Et comme le Mexique a déjà fait la preuve de son savoir-faire en 1970, pourquoi ne pas lui faire confiance ? On doute d’ailleurs si peu de la passion des Mexicains pour le football qu’on n’hésite pas à leur demander de faire face à leurs engagements trois mois après le séisme qui a fait des milliers de victimes et causé des dégâts considérables dans le centre de leur capitale. Ils doivent aussi procéder à la réhabilitation de la formule-coupe délaissée en Espagne au profit de la formule-championnat. Au Mexique, on conservera le système-Championnat pour le premier tour et on passera à la formule-coupe en huitièmes de finale avec les vainqueurs des groupes du premier tour. Cette innovation sera approuvée par la majorité des vingt-deux équipes rescapées d’une phase éliminatoire qui a réuni 121 équipes. Si le Maroc avait osé… Le premier tour se déroule sans surprise, à l’exception de la première place remportée par le Maroc devant l’Angleterre, la Pologne et le Portugal. Alors que l’Algérie a déçu ses partisans en terminant à la dernière place de son groupe sans une seule victoire, le Maroc a réalisé la meilleure performance d’une équipe africaine dans l’histoire de la Coupe du monde. Elle manquera un grand exploit en huitième de finale aux dépens d’une équipe allemande à la recherche de son équilibre. La tactique défensive adoptée par l’entraîneur du Maroc, qui sous-estime la valeur de ses meilleurs attaquants Timoumi, Bouderbala, Khairi, Hadaoui explique le score de 0-0 à trois minutes de la fin du match. A deux minutes de la fin, l’Allemagne marque sur coup-franc. 1-0 : adieu l’Afrique ! L’Asie pour sa part a été plus expéditive : l’Irak avec trois défaites, la Corée du sud avec deux défaites et un nul n’ont pas franchi le cap du premier tour. Les amoureux du beau jeu attendent beaucoup de la France qui a confirmé sa progression en remportant en 1984 le Championnat d’Europe des nations. Au premier tour, sans difficulté, elle met un terme à l’impressionnant départ d’une équipe soviétique à laquelle l’entraîneur Zavarov semble avoir apporté une touche de fantaisie. L’Italie, dont le palmarès est si riche en victoires sur sa sœur latine, ne résistera pas aux sept demi-finalistes de Séville menés par Platini. Confiante désormais dans leur expérience et dans la sûreté de Bats, un gardien de bonne classe, ils prouvent que le complexe italien n’est pas insurmontable. 2-0, le score est net et significatif. Superbe France-Brésil Après l’Italie, c’est le Brésil qui se dresse sur la route des Français en quart de finale. Le Brésil qui vient d’infliger un 4-0 sans bavure à la Pologne et qui va les recevoir à Guadalajara, théâtre des inoubliables promesses de 1970. Le match des deux formations les plus représentatives du style offensif va tenir toutes ses promesses, sauf dans son épilogue. Cette partie, où les occasions de but créées par de superbes actions collectives sont exceptionnellement nombreuses, se termine sur le score de 1-1. Deux magnifiques réalisations : l’une de Careca, l’autre de Platini. Mais le score en est resté là, et c’est à la loterie des tirs au but que se jouera le sort du meilleur match du tournoi. Le Brésil de Zico, Socrates, Careca, Müller, qui s’était montré légèrement supérieur dans l’ensemble de la partie, est éliminé dans une épreuve individuelle où le hasard est maître. L’équipe de France ne profitera pas longtemps de ce succès. Ses ressources physiques et nerveuses ont été trop entamées au cours de ce match pour lui permettre de disposer de tous ses moyens contre l’Allemagne en demi-finale (comme quatre ans plus tôt). Face au Mexique, la RFA a dû elle aussi se qualifier aux tirs au but, mais ses joueurs sont plus jeunes et les deux buts signés Brehme et Völler offrent une idée inexacte d’une partie très équilibrée où le niveau de jeu n’a jamais atteint un niveau aussi élevé que dans le match France-Brésil. Comme quatre ans plus tôt, l’équipe allemande est finaliste. Son adversaire sera l’Argentine qui, depuis le début de la compétition, n’a brillé ni par ses résultats (Bulgarie 1-1, Italie 1-1, Corée du sud 3-1, Uruguay 1-0), ni par la qualité d’un jeu dont les rares étincelles sont l’œuvre exclusive de Maradona, entouré d’une escouade d’auxiliaires pas très scrupuleux sur les moyens employés pour neutraliser les adversaires qui leur font face. C’est le style Bilardo, ex-joueur et ex-entraîneur des Estudiantes de la Plata, qui a sur les rapports du football et de la morale une conception très cynique. Le quart de finale qui l’oppose à l’Angleterre au Stade Aztèque va en donner une idée. La main revancharde Durant la première mi-temps le débat, d’une rare médiocrité, incite à la sieste. Le stade se réveille cinq minutes après le repos lorsque Maradona dévie de la main dans les filets anglais une balle aérienne que Shilton, le gardien anglais, s’apprêtait à capter. Le contact de la main de Maradona ayant eu lieu au-dessus de sa tête, le caractère intentionnel du geste est évident. Il a eu pour témoin les 115 000 spectateurs du Stade Aztèque et plusieurs centaines de millions de téléspectateurs. L’arbitre tunisien M. Benaceur était bien placé pour constater le flagrant délit. Mais, sans consulter le juge de touche le plus proche et sans se soucier des protestations des joueurs anglais, il a indiqué du bras le centre du terrain. Le but est homologué. Maradona n’a pas attendu le geste de l’arbitre pour foncer les bras levés en signe de victoire vers la tribune où les supporters argentins laissent exploser leur enthousiasme, bientôt suivis par la majorité du public. Quelques spectateurs protestent, mais leur contestation et leurs sifflets sont noyés sous les clameurs d’allégresse. Quant aux réactions des supporters anglais qui ont traversé l’Atlantique, elles ne résistent pas à l’euphorie violente des Argentins, supérieurs en nombre et protégés par la police mexicaine. On n’a pas tout vu, car cinq minutes après son exploit de tricheur, Maradona, assuré du soutien de la foule, réalise balle au pied cette fois une percée individuelle de 50 mètres qu’il termine par un tir dans les filets anglais. Dans sa course, il a éliminé cinq adversaires découragés par le déni de justice qu’ils viennent de subir. L’exploit technique va faire oublier le geste frauduleux qui a décuplé la confiance de Maradona. Neuf minutes avant la fin du temps réglementaire, Lineker, le centre-avant anglais réduit le score à 2-1. L’Argentine a gagné, mais c’est bien le but de la main de Maradona qui a fait la différence et qui permettra à son équipe de poursuivre son chemin vers son second titre mondial. La solidarité de l’Amérique latine Si la responsabilité de l’arbitre dans cette scandaleuse conclusion est écrasante, aggravée encore par son refus de consulter le juge de touche, on ne peut éviter de tenir compte de l’ambiance dans laquelle il a pris cette décision, du rapport de forces auquel il a cédé. Ce rapport des forces était totalement en faveur de l’Argentine. Dans toute l’Amérique latine, le milieu du football était depuis fort longtemps édifié sur les moyens utilisés par certains dirigeants européens pour avantager leurs équipes dans les compétitions internationales. Ceux qui avaient été mis en œuvre contre les Sud-Américains en 1966 et les injures adressées aux Argentins par Ramsey n’étaient pas oubliés. La très sportive revanche du Brésil en 1970 avait été chaleureusement applaudie par les publics des stades mexicains. Mais le Brésil, éliminé par Platini et les siens, ne pouvant cette fois offrir le même espoir, l’honneur du football de l’Amérique latine reposait sur l’équipe d’Argentine. Mais ce n’est pas une raison suffisante pour expliquer l’approbation par le public mexicain d’une tricherie aussi caractérisée que celle de Maradona. Son attitude antisportive s’explique par une raison politique : la volonté de témoigner sa solidarité avec une nation de l’Amérique latine qui a de nombreux points communs avec le Mexique, et notamment les insolubles problèmes des pays en voie de développement, écrasés sous les dettes contractées auprès des nations riches. L’infortune particulière de l’Argentine, accablée de surcroît quatre ans plus tôt par sa défaite dans la guerre des Malouines contre l’Angleterre de Mrs Thatcher, ne pouvait laisser insensible la population de Mexico, dont la presse affectait de mettre en garde le public avant le match en soulignant « qu’il ne serait pas correct d’établir un rapport entre cette guerre et le match du jour ». Dans le contexte social et politique de 1986, la solidarité avec l’Argentine, deux fois victime de l’Angleterre, avait à ses yeux une autre importance qu’une loi du football. Qu’importent les moyens… On peut se demander par contre pourquoi une grande partie de la presse française, tout en reconnaissant le caractère frauduleux du geste de Maradona, a préféré souligner l’exploit que constituait son deuxième but et oublier les conséquences du premier sous une avalanche d’éloges à l’adresse du tricheur. Ces lignes effarantes ont été publiées dans une revue spécialisée : « Peu importe qu’un jour Diego Armando Maradona ait marqué aux Anglais en s’aidant de son avant-bras. Il n’y a que des bêtes sans âme pour le lui reprocher encore ». Des propos qui auraient été vraisemblablement différents si la victime de « l’avant-bras » (sic) de l’Argentin avait été l’équipe de France. En 1986, il y avait longtemps que dans le milieu du football, en France comme ailleurs, la morale était un mot banni du vocabulaire « réaliste ». Avoir marqué un but de la main sous les yeux de 115 000 spectateurs et avoir remporté le titre mondial grâce à cet exploit était probablement considéré par certains comme le summum de l’habileté. « La main de Dieu », avait déclaré spirituellement le héros de la fête. Ce fut en tout cas un moment d’une importance capitale dans cette 13ème Coupe du monde. Pour vaincre la Belgique en demi-finale, Maradona n’eut pas à utiliser d’autre moyen que la confiance qui l’animait et que l’incontestable valeur technique qu’on lui connaissait, ce qui lui permit de signer les deux buts du succès argentin. Sévèrement marqué en finale contre l’Allemagne, il ne sortit de l’anonymat qu’en fin de partie pour donner à Buruchaga la balle du troisième but qui était celle de la victoire (3-2). La partie avait été médiocre à l’image de la carrière des deux équipes dans le tournoi. A l’image de l’ensemble du tournoi qui a inspiré à Francis Huertas, du magazine « Onze », l’un des observateurs de cette Coupe du monde, la conclusion suivante : « Le Mondial 1986 a battu toutes sortes de records. Celui des avertissements : 132 contre 99 lors de la précédente édition en Espagne. Celui des expulsions : 8 contre 5 en Espagne. Celui de l’inefficacité : 132 buts contre 146 en Espagne. Un football sans cesse plus négatif, plus violent et qui perpétue la tradition pénible des hymnes nationaux peut-il se poser en symbole de paix et de fraternité ? » |
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