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Coupe du monde 1904-1998 *
Un Miroir du siècle Texte inédit de François Thébaud
QUATRIEME PARTIE Bienheureux penalty

Chapitre XV
Rome 1990
BIENHEUREUX PENALTY  !


La Coupe du monde sera celle de tous les records si l’on en croit les chiffres publiés avant le coup d’envoi de la phase finale  : 146 nations engagées… On peut encore faire mieux. Mais pour l’instant on touche au plafond, le nombre des nations affiliées à la FIFA en 1990 étant de 167. L’organisation confiée à l’Italie, la plus opulente des nations du football, celle qui réunit dans les clubs de son championnat les meilleurs joueurs de la planète, ne peut être qu’impeccable. Les vingt-quatre équipes du «  Mondiale  » disposeront d’un ensemble unique au monde de divers stades ultramodernes destinés à accueillir les cinquante-deux rencontres du tournoi.
On prévoit qu’il va être suivi par une masse de 26 milliards de téléspectateurs, la finale devant à elle seule être suivie par un milliard et demi dans les 167 pays assurés d’une moyenne de 88 heures d’émission en direct et en différé.

L’une des grandes innovations de cette Coupe du monde doit être la réforme de l’arbitrage, afin de mener une lutte efficace contre la violence qui croît sans cesse depuis le début des années 60 et risque de mettre en danger l’existence même de la Coupe du monde.

Quels records  ?

Les intentions sont louables, que vont être les réalisations  ? Les prévisions concernant la télévision seront dépassées (27,6 milliards au total, 1,6 milliard pour la finale). La moyenne de téléspectateurs par match a été de 513 millions. Le nombre total de spectateurs dans les stades italiens a été de 2,5 millions, soit une moyenne de 48  368 par match, supérieure au record établi au Mexique en 1986. Mais elle est inférieure à celle qui a été réalisée au Brésil en 1950 (60  772 par match).

Ce formidable succès médiatique et populaire n’a malheureusement pas trouvé dans la qualité du jeu la suite espérée. Là aussi, les chiffres sont significatifs. La moyenne des buts marqués est la plus basse qui ait jamais été enregistrée dans l’histoire de la Coupe du monde  : 2,21. Le consternant record de 1986 est battu  !

Autre indice de la part insignifiante du jeu, dont la qualité conditionne la qualité du spectacle, l’impuissance croissante des équipes à se départager autrement que par un concours d’adresse extérieur au jeu. La loterie des tirs au but avait fait des débuts remarqués dans trois des quarts de finale de 1986. Elle a brillamment poursuivi sa carrière en Italie à partir des huitièmes de finale et jusqu’aux demi-finales, dans lesquelles elle a rendu ses verdicts. Un penalty (véritable, c’est-à-dire sanctionnant une action de jeu) a évité in extremis que l’attribution finale de la Coupe du monde ne se règle au moyen d’un expédient ayant de lointains rapports avec le jeu collectif qu’est le football.

Le penalty sifflé par l’arbitre mexicain M. Codesal et transformé par l’Allemand Mathaus sauvait la compétition du ridicule qui ne l’aurait pas épargné si le football avait été exclu de sa décision finale. Le président Havelange aurait eu avant le match un très long entretien avec M. Codesal, ce qui expliquerait le penalty si contestable mais si… opportun puisqu’il permettait à une équipe de remporter son titre avant la fin de la durée normale du jeu. Le joueur argentin Burruchaga ne manqua pas de faire état de cette information devant la presse, mais peut-on accueillir sans restriction les propos du coéquipier de Maradona à Mexico  ? Il avait manifesté une discrétion si remarquable à propos du but marqué de la min qui décida de la victoire argentine…

Les «  exploits  » de l’Argentine

Les résultats de l’équipe entraînée par Bilardo et les moyens grâce auxquels ils furent obtenus ne permettent pas d’ailleurs d’insinuer qu’elle fut victime en Italie d’une injustice. Elle ouvrit le tournoi par une défaite devant le Cameroun, dont l’équipe termina le match à neuf joueurs en raison de l’expulsion de deux d’entre eux. Elle continua par un succès sur l’URSS obtenu avec l’aide d’un arbitre qui refusa de sanctionner la main de Maradona (encore elle  !) qui empêcha cette fois le ballon de pénétrer dans les filets argentins. Un match nul contre la Roumanie lui permit de terminer troisième de son groupe et de sauver sa qualification au deuxième tour. Tous ceux qui ont assisté à la rencontre des huitièmes de finale qui l’opposait au Brésil n’ont pas oublié l’écrasante domination brésilienne durant 80 minutes et le but de Caniggia sur passe de Maradona à huit minutes de la fin. C’est aux tirs au but, après un score de 0-0, que l’Argentine franchit les quarts de finale aux dépens de la Yougoslavie.

Et de la même manière qu’elle se débarrassa de l’Italie en demi-finale. Quand on connaît ces faits, les larmes de Maradona après la finale perdue et les «  révélations  » de Burruchaga sur l’arbitrage laissent sceptique.

Sans briller d’un vif éclat, les performances de l’Allemagne avaient meilleure allure  : Yougoslavie 4-1, Colombie 1-1, Emirats Arabes 4-1, Hollande 2-1, Tchécoslovaquie 1-0, Angleterre 1-1 (et tirs au but). Des résultats justifiés par un jeu très physique mais construit honorablement par de bons joueurs comme Völler, Mathaus, Klinsmann, Haessler, Brehme, intelligemment dirigés de la touche par Beckenbauer.

Les grandes déceptions

La valeur médiocre des présumées «  grandes équipes  » a facilité la victoire allemande.

On attendait beaucoup de l’Italie qui aurait pu s’appuyer plus fermement sur la magnifique ossature du Milan AC. Les compromis tactiques et techniques du sélectionneur Viccini et l’hostilité du public napolitain dans la demi-finale qui opposait la «  Squadra  » à Maradona et ses frères lui valurent de disputer la qualification dans l’épreuve des tirs au but et de la perdre face au gardien Goycochea, l’ultime espoir de Bilardo.

Au chapitre des grandes déceptions, il faut citer la Hollande avec trois nuls au premier tour avant une défaite régulière 1-2 face à l’Allemagne, l’Espagne qui avait donné des promesses en battant la Belgique au premier tour pour succomber en huitième de finale devant la Yougoslavie, l’Angleterre qui, servie par les circonstances devant la Belgique en huitième de finale puis devant le Cameroun en quart de finale, laissa échapper sa chance en demi-finale à la loterie des tirs au but.

Le Brésil avait les moyens de dominer cette Coupe du monde mais, sous la direction de Lazaroni, un entraîneur obnubilé par la peur de perdre, le jeu offensif fut sacrifié à la prudence défensive, comme si l’histoire du «  futebol  » n’avait rien appris à ses joueurs et à leurs entraîneurs.

Elles ont sauvé la qualité du jeu

Paralysées par leur conformisme, les «  grandes  » équipes ont laissé aux «  petites  » le soin de donner à cette compétition des épisodes contrastant avec la banalité des rencontres entre les valeurs consacrées. Il est dommage que les équipes les mieux armées pour faire leur chemin vers la finale aient été opposées en huitièmes de finale, comme le furent le Cameroun et la Colombie. Elles jouèrent le meilleur match de cette Coupe du monde, les deux équipes atteignant en seconde mi-temps un niveau de jeu supérieur à celui qu’on avait constaté dans tous les autres matches, grâce aux inspirations de Valderama, Rincon, Fajardo chez les Colombiens, de Milla, Omam-Biyik, Ndip, Makanaky chez les Camerounais.

Contre l’Angleterre en quart de finale, le Cameroun avait la victoire en main après une heure de jeu (2-1). Elle manqua de très peu le break sur une superbe attaque de Omam-Biyik, se fit rejoindre sur un penalty contestable et battre dans la prolongation sur un autre penalty (2-3).
Avec un peu plus d’audace offensive, avec l’appoint de la technique et de la personnalité du gardien Bell, le Cameroun aurait accédé aux demi-finales.

Quant au collectif des Colombiens, qui auraient pu l’emporter sur le Cameroun en huitième de finale, ses possibilités devraient s’affirmer dans les prochaines Coupes du monde.

Deux autres équipes du Tiers-Monde ont laissé une excellente impression en Italie. D’abord le Costa-Rica, émanation d’un pays de 3 millions d’habitants, à l’espérance de vie la plus élevée et le taux d’analphabétisme le plus bas de l’Amérique Centrale. Le jeu de ses footballeurs, bien construit en passes courtes, a enchanté le public de Gênes qui a applaudi ses deux magnifiques victoires sur l’Ecosse (1-0) et la Suède (2-1). A Bari, l’expérience de la Tchécoslovaquie et la blessure de leur excellent gardien Conejo ont mis fin à leur carrière en huitième de finale. Mais les Medford, Cayasso, Jara, Conejo ont laissé un bon souvenir à ceux qui aiment le beau jeu.

Deuxième nation africaine participant à la phase finale, l’Egypte (2 matches nuls et une défaite) n’a pas réussi à obtenir la récompense d’un jeu bien mieux construit que celui de l’Eire qui a atteint les quarts de finale. En tenant en échec la Hollande de Van Basten et en concédant une courte défaite à l’Angleterre, celle qui fut la première nation africaine engagée dans la Coupe du monde en 1934 aura des occasions à l’avenir de faire apprécier son style de jeu élégant et spectaculaire.

Les enjeux et le jeu

Que les «  petites  » équipes du tiers-Monde aient donné aux grandes nations du football une leçon de jeu intelligent et spectaculaire, est-ce vraiment un sujet d’étonnement  ? Les enjeux des championnats professionnels dans les pays nantis de l’Europe de l’Ouest donnent une importance croissante au jeu défensif considéré comme la meilleure garantie contre la défaite. C’est une conception qui exige des qualités physiques développées par l’entraînement intensif, l’application rigoureuse de consignes de marquage, l’usage de l’intimidation et de toutes les formes d’obstruction et de destruction du jeu des adversaires, le refus de consacrer à l’attaque un nombre suffisant de joueurs pour réaliser l’équilibre et l’avantage numérique en avant. Il résulte du quadrillage dont se vantent si volontiers les entraîneurs, un tel engorgement des parties du terrain où se trouve le porteur du ballon que toute création de jeu offensif est quasiment impossible. Un spectacle tristement uniforme, que donnent 95% des matches nationaux et internationaux disputés en Europe. Les enjeux des matches joués dans le Tiers-Monde étant moins importants, la peur de perdre est un facteur à leur mesure. Les possibilités de création et de construction offensive sont plus grandes. Et c’est ce qui permet à des joueurs camerounais, qui ne brillaient pas d’un éclat particulier dans des clubs européens de seconde zone, de retrouver dans le cadre d’une sélection nationale improvisée les qualités qui leur permettent de dominer et battre, à neuf joueurs, l’équipe d’Argentine tenant du titre mondial. Une explication qui vaut aussi pour le Costa-Rica dont la sélection nationale formée de semi-professionnels mal payés, issus d’une «  masse  » de 17  000 joueurs, se permet de battre l’Ecosse et la Suède que personne ne saurait en Europe tenir pour des nations footballistiques de second plan.

La répression en progrès

Cette Coupe du monde organisée par le pays dont le championnat professionnel réunit presque toutes les stars du football international n’a pas marqué une progression dans la qualité du jeu. A-t-elle remporté la victoire dans sa lutte contre la violence  ? N’ayant rien fait pour s’attaquer aux causes de la violence _ un combat de longue haleine que la FIFA n’évoque jamais _, elle a donné aux arbitres des consignes de répression, dont on ne sait si les impressionnants résultats chiffrés doivent être considérés comme prometteurs. 159 cartons jaunes (avertissements) ont été brandis par les arbitres, et 15 cartons rouges ont signifié autant d’exclusions des terrains.

Le «  palmarès  » de l’Argentine _ 23 jaunes, 3 rouges_ situe largement en tête des joueurs dont le comportement antipathique était constamment encouragé par Bilardo. Mais ce théoricien de l’antijeu et de l’anti- morale n’était pas l’entraîneur de l’équipe d’Autriche qui en trois matches a récolté dix «  jaunes  » et un «  rouge  ». Le Cameroun, avec quatorze «  jaunes  » et deux «  rouges  » en cinq matches, a payé la rançon de certaines interventions dangereuses. Trop largement, si on compare ladite rançon avec celle qu’ont payée des joueurs plus habiles dans la dissimulation et la simulation. Et ceci met en cause les conceptions des arbitres et les critères qu’ils utilisent pour justifier leurs décisions. Un problème que cette Coupe du monde n’avait pas le pouvoir de résoudre.

L’unification et l’explosion

Disputée du 9 juin au 10 juillet de cette année 1990, la XIVème Coupe du monde a eu la bonne fortune de se placer avant les graves événements qui ont marqué la saison estivale. Le 2 août, l’invasion du Koweït par l’Irak déclenche en effet une crise internationale qui va devenir «  la guerre du Golfe  ». A la fin du mois de juillet, l’URSS annonce son passage à l’économie de marché, c’est-à-dire la fin du système socialiste établi par la révolution d’octobre 1917. Le 18 août, l’unification politique de l’Allemagne est pratiquement réalisée par l’adhésion de la RDA à des élections panallemandes.

Si la dernière information attendue depuis la chute du mur de Berlin en 1989 n’est pas de nature à déstabiliser les joueurs de la RFA et à les empêcher de remporter leur troisième Coupe du monde, l’élimination de l’équipe d’URSS (au premier tour de la compétition, elle termine à la dernière place de son groupe derrière le Cameroun, la Roumanie et l’Argentine) n’est peut-être pas sans rapport avec l’explosion de l’empire soviétique. La défaite subie devant l’équipe de Roumanie peut s’expliquer par le trouble provoqué sur le moral des joueurs par la situation intérieure de leur pays, contrastant avec la quiétude des Roumains rassurés depuis la chute de Ceaucescu. La direction de la FIFA, qui n’a jamais fait de cadeau au football soviétique, aurait pu se dispenser de faire arbitrer son match contre l’Argentine par M. Fredriksson. Quatre années plus tôt, il avait soulevé l’indignation générale au Mexique en homologuant un but manifestement hors-jeu qui interdisait l’accès aux demi-finales à Zavarov et ses coéquipiers. Cette fois, M. Fredriksson a préféré fermer les yeux lorsque Maradona sort de la main un ballon qui a franchi la ligne de but de son équipe. Il est vrai que la main de Maradona avait déjà fait la preuve de son effet magique sur l’acuité visuelle des arbitres. Il est vrai aussi que la guerre froide a laissé quelques séquelles dans les esprits des dirigeants de la FIFA.