Quel avenir pour le football  ? (ed. L’Harmattan – 2008)

Quel avenir pour le football  ? (ed. L’Harmattan – 2008)
Gaël Raballand, Sylvain Cianferani, J-François Marteau


Des matches souvent ennuyeux du fait de la rareté des buts, des occasions de but même, les victoires dans les compétitions étroitement dépendantes des budgets des clubs, les dérives inquiétantes du football-business  : les tendances actuelles du football entraînent chez beaucoup un désenchantement exprimé par la formule «  le football est pourri par l’argent  »…
Gaël Raballand, Syvain Cianferani et J-François Marteau ont voulu dans ce court essai Quel avenir pour le football  ?, avec leur compétence d’économistes, présenter de manière simple et claire les données économiques qui expliquent ces maux du football et risquent de le «  tuer  ». Ils mettent ensuite en débat des orientations possibles pour que les joueurs (y compris professionnels) et les spectateurs retrouvent  des raisons de pratiquer ou de regarder des matches avec plaisir.
Un constat partagé

Leur constat rejoint des positions exprimées sur ce site (et son brillant inspirateur le magazine Miroir du football): ils déplorent «  l’importance croissante du jeu défensif et de l’impact des considérations économiques sur le football d’aujourd’hui  » et passent en revue au fil du livre les conséquences de cette évolution économique sur les divers aspects de ce sport.

Ils dressent un historique des systèmes de jeu, de plus en plus défensifs et standardisés à partir des années 60 (jusqu’au 4-5-1 dominant actuellement), et font la démonstration chiffrée de la baisse régulière des buts marqués dans les championnats européens et les Coupes du monde, de la proportion grandissante de ceux-ci sur coups de pied arrêtés, d’où l’ironique sous-titre «  Objectif 0-0  ».
Ils établissent, toujours avec chiffres à l’appui, que la détection des joueurs se fait principalement sur la taille et les qualités physiques, pour qu’ils s’adaptent à ce jeu défensif et de contres. Ils constatent l’uniformisation du jeu imposé par des entraîneurs conformistes, sans imagination.
Dans un chapitre, ils présentent  «les dérives du milieu»  : la corruption et les matches truqués (que les paris en ligne risquent fort de stimuler), les «agents sales» incontournables aujourd’hui et les paradis fiscaux, le «  spectre du dopage» etc
Ils montrent bien aussi les transformations de «  l’homo footballisticus  » moderne, déterminées par les nouvelles conditions de recrutement et de transferts  : recruté de plus en plus jeune dans les centres de formation des clubs, déraciné de son environnement familial, fragilisé par la concurrence féroce (beaucoup d’appelés, peu d’élus  : moins de 10% deviendront pros en France), c’est un «  nomade  » perpétuel, poussé par des agents intéressés à rentabiliser au maximum à coups de transferts une carrière courte, au risque de s’y perdre sur le plan sportif.

Ils détruisent toutefois une illusion  : «  Le football s’est depuis longtemps paré d’une dimension économique. Le paradis originel du football amateur totalement déconnecté de tout enjeu économique est une chimère  ». La question de l’argent est en effet apparue presque dès l’origine du football, dès qu’il est devenu spectacle devant des publics  fournis: rompant avec l’amateurisme marron, l’officialisation du professionnalisme, qui permet un meilleur niveau de pratique, s’est répandue au début des années 30 dans de nombreux pays en Europe, en Amérique latine.... Avec déjà des écarts financiers entre grands et petits clubs. Les auteurs font également remarquer que «le recrutement de stars internationales est presque aussi vieux que le football professionnel»  : le nombre record de joueurs étrangers en France dans les années 30 ne sera dépassé qu’à partir des années 2000!

Football et argent ont donc toujours été liés mais c’est la masse d’argent véhiculée dans le football qui a changé d’échelle depuis 30 ans…


Un nouveau modèle économique

Avant même le professionnalisme, les entreprises créent des clubs pour valoriser leur image à l’interne et à l’externe. Par exemple, le RC Lens et les mines, le FC Sochaux et l’automobile, l’AS Saint-Etienne et le commerce…
Après la 2nde guerre mondiale, le financement des clubs, en France comme à l’étranger, repose sur l’apport financier d’entreprises, ou d’industriels à la recherche d’une position sociale ou politique, sur les recettes au guichet et sur les subventions publiques de municipalités y voyant une vitrine pour leurs villes. Mais, en raison de l’inflation des salaires et de la baisse des subventions municipales, ce système est à bout de souffle dans les années 70-80.

A partir des années 80, le financement du football va alors changer. De nouveaux investisseurs font leur apparition  : groupes de communication, dirigeants de multinationales puis fonds d’investissement [on peut ajouter les émirats et les oligarques russes]. D’autre part, les sommes dégagées par les droits télévisés vont connaître une montée vertigineuse et deviennent le poste essentiel _ et de loin_ des recettes, avec l’effet «  boule de neige  » des sponsors, des équipementiers, organisé par des sociétés de marketing sportif…: en France, ils passent de 0,82 millions€ en 1982-83 à 635 M€ en 2005-06 [pour 2008-2012  : 668M€]… Ce qui provoque une interdépendance entre football et medias (télévision et presse spécialisée), aux intérêts liés pour couver la poule aux œufs d’or.


La fracture footballistique

D’autre part, l’UEFA met en place en  1992 une nouvelle formule de la Ligue des Champions, pour contrer le projet de «  superligue  » privée (hors UEFA) et «  fermée  » du «  G14  », qui représentait les clubs les plus riches des championnats majeurs du continent européen  : le mode d’organisation de cette ligue ( 3-4 clubs des pays majeurs  ; poules de 4 générant au moins 6 matches avant les éliminations directes  ), la répartition ultra-inégalitaire des droits télévisés selon la «  notoriété  » des clubs, amènent les mêmes équipes, celles du «club des 10», à être sûres d’engranger de substantielles recettes, bien supérieures à celles gagnées dans leurs championnats. C’est (presque) toujours un de ces 10 qui finit dans le dernier carré.

Pour assurer le retour sur investissement, il leur faut à tout prix être qualifiées en Ligue des Champions, sinon c’est la catastrophe. Peu importe la façon d’y parvenir, ce qui amène, à quelques exceptions près (actuellement Barcelone, Arsenal …) un jeu tourné vers l’objectif de ne pas perdre, appliqué par des entraîneurs stéréotypés, obligés d’obtenir des résultats immédiats sous peine d’éviction; ce qui explique aussi les pressions de dirigeants sur les arbitres ou encore l’appel au «  supporterisme  », aveugle quant à la qualité du jeu.

Elles sont de plus en plus riches et médiatisées, donc peuvent siphonner les meilleurs joueurs des pays étrangers, qui voient ainsi le niveau de leur championnat baisser…
Ce drainage des meilleurs joueurs par les grands clubs des 4 championnats majeurs (Angleterre, Espagne, Italie, Espagne) a été permis par l’arrêt Bosman (1995), décidé par la Cour de Justice de l’Union Européenne: contre les quotas de joueurs nationaux auparavant, au nom de «  l’exception sportive  », cet arrêt Bosman a totalement ouvert le marché du travail aux «  joueurs communautaires  », ne laissant que des indemnités insuffisantes aux clubs formateurs lors des transferts. Il a de plus créé un appel d’air pour les joueurs des autres continents (Amérique latine, Afrique, où les revenus sont très inférieurs), du fait qu’ils ne subissaient plus la concurrence des Européens pour le quota d’  «  étrangers». Bref, une délocalisation à l’envers, pourrait-on dire!

Cette fracture footballistique au niveau européen se répercute dans chaque pays: les auteurs démontrent à l’aide de statistiques que sur la durée (avec quelques surprises  de temps à autre), il y a une forte corrélation entre budgets, masse salariale et résultats. Le chapitre consacré à la Ligue1 en France, exposant les types de clubs et leurs objectifs divers en relation avec leurs budgets, est très instructif de ce point de vue.

Les auteurs parlent d’  «un modèle économique parfait pour un très petit nombre de clubs  »  : pas si sûr quand on sait que la bulle inflationniste des salaires, due à la concurrence entre ces clubs après l’arrêt Bosman, a provoqué chez ceux-ci des déficits mortifères, comme vient tout récemment de le rappeler le signal d’alarme lancé par Michel Platini, secrétaire général de l’UEFA. A tout moment, elle peut se dégonfler, le «  capital-joueurs  » s’effondrer, et faire des ravages dans l’élite européenne du football, à l’image des banques et des grandes entreprises en 2008.

Quel avenir pour le football  ?


Après avoir présenté la situation du football à l’heure de la mondialisation, les auteurs vont chercher à avancer des remèdes possibles, tant au niveau national que mondial.

En ce qui concerne la France, ils partent de la question souvent posée  : «  Est-ce qu’un club français peut gagner la Ligue des Champions  ?  ».
On l’a vu, si certains de nos clubs «  européens  » (OL, OM, Bordeaux…) sont au-dessus du lot sur le plan national, leurs budgets ne soutiennent pas la comparaison avec les grands clubs européens. Ils sont donc eux aussi obligés de leur céder leurs «vedettes».

Ils sont en effet soumis à des contraintes spécifiquement françaises: une imposition plus forte des entreprises, des charges sociales supérieures sur les salaires  ; et aussi à des recettes au guichet plus basses, dues à des moyennes d’affluences un peu moindres et surtout à des tarifs moins chers.
Et puis aussi «  la France est le pays où la solidarité est la plus importante vis-à-vis du football amateur et entre clubs de l’élite  »  : on sait que la LFP reverse 12,5 M€ aux amateurs  ; que les droits télévisés sont distribués sinon de façon égalitaire (du fait du «  coefficient de notoriété  »), du moins de manière solidaire entre clubs. La taxe de 5% sur les droits télévisés va également aux autres sports de moindre notoriété. Enfin, la DNCG (Direction nationale de contrôle de gestion) créée par la FFF et la LFP exerce un certain contrôle financier sur les clubs professionnels, avec sanctions sportives en cas de finances insuffisantes, d’irrégularités de gestion.

Les auteurs posent le problème par l’alternative suivante: faut-il aligner les clubs français sur le régime des autres pays européens, ou le contraire? C’est-à-dire baisser les impôts des joueurs et des clubs, leurs charges sociales sur les salaires, supprimer les mécanismes de solidarité, supprimer la DNCG  ? Ces décisions concernent l’Etat ou la 3F et la LFP. Ou à l’inverse parvenir à l’harmonisation de ces composantes au niveau européen, de la responsabilité de l’Union Européenne ou de l’UEFA.
A l’échelon français, selon nous, ce serait choquant pour les citoyens, footballeurs ou non, de voir le football professionnel échapper à la loi commune.
Au niveau européen, ils reconnaissent que vouloir unifier les règles au sein de l’Union Européenne en ces matières relève de la naïveté. Nous le pensons aussi, en raison de son orientation libérale fondée sur «  la concurrence libre et non faussée  ». Quant à un contrôle des comptes des clubs européens, l’ouvrage ayant été publié en 2008, il ne pouvait pas faire état de l’avancée que constitue la mise en place du «  fair play financier  » par l’UEFA de Michel Platini en  2010, dont on ne pourra mesurer l’efficacité qu’à ses premiers résultats en  2014-2015.

En réponse finale à la question initiale sur les chances d’un club français d’arriver en finale de la Ligue des champions, ils n’y croient pas et semblent plutôt pencher vers le premier axe de l’alternative: «  il faut accepter cette réalité tant qu’on ne permet pas aux clubs français de posséder les moyens financiers nécessaires pour se battre à armes égales avec les grands clubs européens  ».

Ils évoquent aussi l’éventualité d’une ligue européenne «  fermée  », sur le modèle de la NBA (basket aux Etats-Unis), assurant la sérénité financière des clubs admis  : pas de système de montées-descentes à la fin de saison, avec des mécanismes garantissant «  l’équilibre compétitif  », c’est-à-dire l’incertitude des résultats: salaires plafonnés (le «salary cap»), et recrutement prioritaire des meilleurs espoirs par les équipes les moins bien classées (les «drafts»). Pour eux, «  le système des ligues fermées apparaît comme une solution attractive en ce qu’il allie certitudes économiques et spectacle  ». Ils admettent cependant que ce statut irait à l’encontre de la tradition européenne du football (et de tous les sports collectifs), fondée sur le mérite sportif, c’est-à-dire la promotion ou la relégation en fonction des résultats sur le terrain. Ils soulignent aussi que ce fonctionnement romprait le lien entre football professionnel et amateur. Ajoutons que cela aboutirait à une «  Ligue 1 européenne  » des grands clubs, et des championnats nationaux relégués de fait à l’état de Ligues 2  : seraient-ils alors aussi suivis? Le remède ne ferait-il pas qu’aggraver le mal, la fracture footballistique?

Des propositions qui règlent les problèmes  ?

Ils terminent leur ouvrage par des propositions qui selon eux seraient aptes à empêcher la désaffection des spectateurs et surtout des téléspectateurs (et ses conséquences sur le montant des droits télévisés, de plus en plus âprement négociés avec les chaînes!), grâce à un meilleur spectacle fourni par des équipes osant plus le jeu car elles seraient rassurées sur leur avenir d’un point de vue économique. 
Ils font alors 2 propositions au niveau national: 1) ne faire monter et descendre qu’une équipe par saison dans les Ligues 1 et 2  ; 2) baisser à 0,5 point un match nul 0-0.
Et 3 autres au niveau international: 3) appliquer la règle du hors-jeu à la limite des 18m au lieu du milieu de terrain  ; 4) recourir à l’exclusion temporaire contre les gestes antisportifs, comme en rugby  ; 5) renforcer l’arbitrage impartial par des moyens accrus.
Discuter de la pertinence de chacune de leurs préconisations exigerait un développement impossible à faire dans la limite de cette note. Disons abruptement que l’une nous a fait bondir (le hors-jeu)  ; une autre nous a laissé perplexe (limiter les montées-descentes à une équipe)  ; deux autres nous semblent envisageables (le match nul 0-0  ; l’exclusion temporaire)  ; on ne peut pas être contre la dernière (l’arbitrage), à condition de savoir ce qu’on entend par «  des moyens accrus  ».

Un livre éclairant pour comprendre l’état du football, totalement inséré dans la mondialisation économique aujourd’hui.
Si le diagnostic est sûr, on s’aperçoit que leurs propositions _sans même parler du bien-fondé de certaines_ ne sont pas à la hauteur des enjeux  : ils sentent que pour parvenir à un football plus attractif, il leur faudrait remettre en cause les institutions économiques et politiques qui le soutiennent. Revenir à plus de réglementation, pour empêcher la loi du plus fort, n’est pas plus aisé pour le football que dans les autres domaines!


Loïc Bervas (janvier 2011)