Dopage dans le football – J-Pierre de Mondenard (Ed. J-Claude Gawsewitch – 2010) Tout le monde connaît le dopage dans le cyclisme, sait qu’il est présent dans d’autres sports (athlétisme, natation, haltérophilie etc). Etrangement, à part quelques alertes (concernant des cas individuels ou des équipes) vite enterrées, le dopage, officiellement ou médiatiquement, ne sévit pas dans le football. Avec Dopage dans le football, J-Pierre de Mondenard, médecin spécialiste depuis 30 ans de cette question à laquelle il a déjà consacré plusieurs ouvrages, nous emmène dans un univers encombré de seringues, de médicaments, de cocktails chimiques, pour appeler à en finir avec l’hypocrisie. Il a conscience de s’attaquer à une « forteresse bien gardée »… |
La loi du silence Pourquoi cette « loi du silence », ces « 3 S : silence, secret, solidarité » ? Il en rappelle brièvement les causes : la multiplication des compétitions par les instances (Fifa, Uefa, fédérations nationales) pour faire rapporter le maximum d’argent à l’industrie du football. Avec la victoire comme impératif nécessaire, quels que soient les moyens : les tricheries sur le terrain (intimidations physiques, déstabilisations verbales de l’adversaire, tirages de maillots, fautes « intelligentes », fautes simulées, buts de la main etc)… et, à l’abri des regards, le dopage. Les dirigeants de ces instances, bien souvent confortés par les gouvernements qui voient dans les trophées et médailles des équipes nationales une valorisation politique, opposent régulièrement 2 types d’arguments à ceux qui demandent pourquoi le football serait exempt de ce mal qui frappe d’autres sports : 1) Le dopage ne sert à rien dans le football, puisque c’est un sport collectif, qui demande d’autres qualités que le seul physique : lucidité dans le jeu, adresse technique etc. 2) La preuve, c’est que très peu de cas positifs ont été découverts depuis que les contrôles ont été mis en place au niveau international, à l’occasion de la Coupe du monde 1966 en Angleterre : seulement 3 cas sur 2854 tests pratiqués dans les Coupes du monde jusqu’à 2010 ; 0 cas sur 512 tests pour celle de 2010. Or, ces contrôles coûtent cher pour si peu de fautifs : pourquoi gaspiller plus? (dixit le Dr Jiri Dvorak, médecin en chef de la Fifa). Les principaux intéressés (joueurs, staffs y compris médicaux), dont c’est le métier (lucratif) n’ont pas trop intérêt à se révolter (1) ; les medias non plus, dont le sort est très lié au football pour la presse sportive et les chaînes télévisées, qui sont financés par les capitaux ou doivent leur survie aux publicités des entreprises-sponsors pour la presse généraliste. On comprend « l’omerta » générale qui règne sur le dopage, compte tenu des enjeux financiers et politiques. Le dopage inefficace en football ? J-Pierre de Mondenard répond à ces dogmes intéressés mais un peu courts. Pour ce faire, il s’appuie sur ses propres recherches, de nombreuses études de médecins spécialistes, sur des rapports de juges courageux lançant des enquêtes difficiles sur des « affaires », ou encore les multiples témoignages d’ex-joueurs de tous pays (même si, après la carrière, certains parmi les plus connus, tels Zidane et Deschamps, restent amnésiques ou refusent toute question sur ce sujet). Le football est un sport collectif certes, mais quand 11 individus ont pris toutes sortes de produits afin de courir plus vite, plus longtemps, sauter plus haut, tirer plus fort, pour paraphraser la devise olympique, l’équipe tout entière en est singulièrement transformée lors d’une compétition! De même quand, à l’entraînement, ces produits permettent à ceux-ci de dépasser les limites humaines, afin d’améliorer les gestes techniques, les tirs, les sauts, les exercices tactiques etc. Car, comme dans beaucoup de sports collectifs ou individuels, les qualités athlétiques, même si elles ne suffisent pas à faire un très bon footballeur, sont tout de même indispensables pour réaliser au mieux les autres aptitudes. De plus, en relation avec le physique, la performance d’un joueur tient aussi à des considérations physiologiques et psychologiques (le fameux « mental »). Utiliser des substances et autres techniques sur ces trois aspects pour « augmenter artificiellement le rendement au cours des compétitions», en tirer avantage sur ceux qui ne le font pas, cela s’appelle se doper. Il passe en revue, en illustrant tout au long de l’ouvrage son propos par des faits précis _d’un passé récent ou actuels_, les groupes de substances et médicaments qui, à l’origine destinés à être utilisés à des fins thérapeutiques pour d’authentiques malades, vont servir à d’autres fins pour des sportifs de haut niveau, a priori sains et même dotés de capacités physiques au-dessus de la moyenne. Et là, on est éberlué de la pharmacie, des techniques utilisées (certaines interdites pour les chevaux des courses hippiques!). Stéroïdes anabolisants et hormones de croissance, créatine ; éphédrine ; antidouleurs; corticoïdes ; injections de sang de veau déprotéiné; amphétamines et caféine ; autotransfusions sanguines ; cocaïne, cannabis … Il y en a pour tous les objectifs: les uns pour développer la musculature, pour améliorer le souffle et renforcer l’endurance (10-12 km par match), la résistance (démarrages rapides, changements de direction, sauts…), la puissance (force des tirs, sauts) ; les autres pour oublier la monotonie des gestes répétitifs à l’entraînement, la fatigue des matches rapprochés, pour aiguiser la concentration, la précision et les réflexes ; certains pour « effacer » la douleur d’une blessure avant un match, d’autres encore pour gagner de la confiance en soi, un sentiment d’invincibilité, contre le stress de la compétition, la peur de l’échec ; et puis ceux prétendument utilisés « à des fins thérapeutiques » sur ordonnance, ou ceux masquant des produits prohibés… Si, de la 2ème guerre mondiale jusqu’aux années 70, l’amphétamine fut reine (avec en plus des injections de glucose par exemple pour l’équipe allemande victorieuse de la Coupe du monde 1954), les techniques se sont affinées, les cocktails sont devenus « personnalisés » en fonction des besoins individuels des joueurs, « scientifiques » pour échapper aux contrôles positifs. L’auteur consacre ainsi un chapitre à la découverte d’une pharmacie de 281 produits sans ordonnances dans les vestiaires de la Juventus de Turin, ce qui équivaut à celle d’un petit hôpital (2). Il évoque aussi, à côté d’autres équipes, l’OM des années Tapie, grand pourvoyeur de « vitamines » aux joueurs. Ou bien dresse une liste des produits ayant pu être utilisés par des joueurs sans crainte lors du récent mondial en Afrique du Sud : elle fait plus de 6 pages ! Sa typologie des participants de 2010 en 4 catégories sur ce plan est également éclairante. On ne trouve pas parce qu’on ne veut pas trouver J-Pierre de Mondenard concède qu’on assiste dans ce domaine à la course classique entre « gendarmes et voleurs », lesquels cherchent à avoir une longueur d’avance : il cite entre autres le cas de l’EPO administrée à micro-doses régulières, actuellement indétectable (très efficace en altitude : Mexique 1986, Afrique du Sud 2010). Et que la lutte antidopage n’est pas toujours simple : ainsi la créatine est en vente libre dans certains pays, et interdite dans d’autres, de même que le sang de veau déprotéiné. Mais il montre surtout l’absence de volonté des instances footballistiques, qui par exemple ne lancent pas d’enquête après les révélations de Johnny Hallyday en 2003 sur la présence régulière de Zidane dans la clinique italienne de Merano pour des autotransfusions sanguines, malgré l’interdiction par le CIO depuis 1985 de cette technique, qui accroît les capacités physiques de 23%. Il fustige les atermoiements de l’AMA (Agence mondiale antidopage, qui depuis 2004 a pris le relais du CIO pour établir la liste des produits interdits, s’imposant à toutes les fédérations internationales): elle interdit un produit, puis l’autorise à nouveau, accorde avec légèreté des « justifications thérapeutiques » ; qui laisse un flou dans la formulation de certaines substances, dans lequel s’engouffrent les « malins » ; qui interdit un produit sous une forme mais pas sous une autre (le test ne pouvant les distinguer !), ou l’interdit pendant une compétition mais pas hors compétition. Il dénonce le caractère approximatif des contrôles antidopage par la Fifa lors des Coupes du monde, qui ne cherchent pas des produits apparus récemment dans d’autres sports. Pour la France il établit, chiffres et dates à l’appui, que la 3F est la dernière de la classe des sports pour s’attaquer à ce fléau : elle effectue le moins de contrôles de toutes les fédérations, ceux-ci sont peu fiables. Il faut dire que les pouvoirs publics donnent le mauvais exemple en n’accordant pas les moyens financiers nécessaires à l’AFLA (Agence française de lutte antidopage), ce qui a entraîné en septembre 2010 la démission retentissante de son directeur Pierre Bordry : « il n’y a pas la volonté politique de soutien à la lutte antidopage». Il constate que les « affaires » de dopage ne sortent que par l’initiative de juges après des découvertes de valises, de pharmacies, voire de poubelles au contenu étrange par la police ou les douanes. Quels seraient les éléments d’une lutte réelle contre le dopage selon l’auteur ? Il souhaite que les contrôles soient inopinés. Aujourd’hui ils sont annoncés à l’avance aux clubs : des « médecins » peu scrupuleux savent programmer la « charge » pour que les tests soient négatifs. Il préconise de retirer aux fédérations, juges et parties, le pouvoir d’organiser les contrôles et de sanctionner, pour le confier à des commissions réellement indépendantes, sur le modèle du TAS (tribunal arbitral du sport). Il appelle les organismes dirigeants de toutes les fédérations à mettre le paquet sur l’éducation et la prévention. La santé des joueurs Car le dopage, pour l’auteur, n’est pas seulement une tricherie affectant les résultats des matches. En médecin, il s’inquiète des atteintes à la santé des joueurs. Beaucoup sont prêts à tout et ne sont pas très regardants sur les « vitamines » qu’on (souvent un médecin) leur administre, pour gagner leur place ou la garder, pour gagner les matches, malgré la fatigue, les blessures : les défatigants, les antidouleurs et autres « produits-miracles » ne font qu’aggraver le mal à long terme. Le cas du buteur brésilien Ronaldo est significatif : l’auteur établit l’engrenage dans lequel celui-ci s’est trouvé durant toute sa carrière. Arrivé fluet à 17 ans au PSV Eindhoven en 1994, il subit rapidement une véritable transformation de sa masse musculaire (par créatine et anabolisants) ; les tendons ne suivront pas. Il subira 3 opérations pour la rupture de ses tendons rotuliens, blessure qui ne touche qu’exceptionnellement les footballeurs. Il devra se gaver de corticoïdes pour « effacer » les tendinites à répétition, ce qui explique son malaise d’avant la finale de la Coupe du monde1998, et aggrave ses problèmes de poids (de 75 kg en 1994 à 98 kg en 2008). Il aborde aussi à plusieurs reprises les conséquences de telles pratiques pour la santé des joueurs après leur carrière. Quand elles sont faites, les statistiques sont accablantes. Depuis l’épidémie de SLA (sclérose latérale amyotrophique, paralysie des muscles mortelle à court terme) qui affecte les footballeurs italiens recensés de 1980 à 2008, jusqu’aux morts prématurées dans certaines équipes, comme chez les vainqueurs allemands de la Coupe du monde 1954 (et leurs adversaires hongrois d’ailleurs). Ou bien les morts par cancers des organes digestifs ou par leucémies plus fréquentes chez les footballeurs que dans le reste de la population. Et puis les problèmes de dépendance aux drogues qui suivent la période d’activité chez certains footballeurs. Le cri raisonné d’un humaniste contre le système économico-politique du football. Un livre courageux, sans recherche du sensationnel, qui, nous l’espérons, aura un retentissement dans l’opinion publique et mettra les pouvoirs du football et les pouvoirs politiques devant leurs responsabilités. Nous l’espérons, mais nous constatons que cette question fait partie d’un tout, dans une société qui voit des régressions sur tous les plans… (1) Certains n’acceptent pas. L’auteur cite entre autres l’anecdote suivante : un panneau des vestiaires de l’OM sous B. Tapie indiquait « Aujourd’hui, piqûre pour tout le monde » ; Eric Cantona avait ajouté : « sauf Cantona ». (2) Ce qui entraîna un procès portant sur les années 1994-98, aboutissant à des condamnations des médecins et pharmaciens de l’équipe ainsi que du laboratoire antidopage peu scrupuleux en 2004, qui furent retirées en appel, puis enterrées par la prescription des faits prononcée par la Cour de cassation romaine en 2007. Loïc Bervas (décembre 2010) |