Histoire du football – Paul Dietschy (ed. Perrin – 2010) Longtemps tenu à l’écart des études « sérieuses » par une certaine condescendance du monde intellectuel à son égard, le football depuis une quarantaine d’années, à mesure que son exposition à la télévision le montrait comme un phénomène universel, s’est imposé comme objet d’analyse touchant au politique, à l’économique, au social, au culturel. L’historien des sports Paul Dietschy, se nourrissant d’une imposante documentation et des archives de la Fifa, vient d’écrire une somme sur l’histoire du football, souvent mal connue par ses contempteurs mais aussi de ses amateurs. Les 620 pages de ce livre peuvent rebuter le lecteur. Ce serait dommage qu’il ne dépasse pas son premier mouvement de rejet, car il y trouvera un trésor d’informations. Aussi nous proposons-nous de le guider, en posant au fil de l’ouvrage les questions dont il a envie (besoin ?) de savoir la réponse : il pourra ainsi, nous l’espérons, y naviguer comme bon lui semble… |
Le chapitre 1 présente la naissance et le développement du football dans la deuxième moitié du XIXème siècle en Angleterre. Quelle rupture ce nouveau sport opère-t-il avec les jeux de balle pratiqués depuis l’Antiquité et dans l’histoire sur divers continents? En quoi répond-il au besoin immémorial de jeu chez les hommes > >p.17-36 Pourquoi les discussions furent-elles si enflammées entre les 14 participants aux réunions de la fin 1863 à la Freemason’s Tavern de Londres, qui aboutirent à la création de la Football Association et à l’écriture des 14 premiers articles réglementant le jeu ? Ces articles seront complétés jusqu’aux années 1890 (sous l’égide de l’International Board dès 1882), pour aboutir en gros aux 17 règles de notre football actuel (seulement complétées ou amendées jusqu’à aujourd’hui). > > p.37-44 Pourquoi la première Coupe d’Angleterre (1871) est-elle déterminante pour le succès de ce sport, à divers titres> >p.44-45 Pourquoi les couches populaires urbaines nées de la révolution industrielle vont-elles s’approprier si rapidement le « dribbling game » des « public schools » pratiqué par des « gentlemen », et le transformer en « passing game »? En développant fortement sa pratique et en en faisant un spectacle de masse (avec ses premières violences !), ce qui posera immédiatement la question conflictuelle du professionnalisme. > > P.45-65 Le chapitre 2 nous montre comment le football, à partir de son foyer anglais, s’est lancé à la conquête du monde jusqu’à la 1ère guerre mondiale. Quelles fortunes diverses connut son implantation dans les autres pays britanniques ? Du succès en Ecosse aux difficultés au Pays de Galles bastion du rugby, et à la résistance nationaliste en Irlande privilégiant les sports locaux. > > P.66-76 Pour quelles raisons ne réussit-il pas à s’imposer devant d’autres sports (cricket, rugby), du fait du colonisateur anglais ou de leurs structures sociales, dans certains territoires de l’empire britannique (Inde, Asie du sud, Australie, Nouvelle-Zélande, Afrique du Sud) > >p.76-85 Comment s’est-il implanté dans certains pays africains (Egypte, Ghana)> >p.86-88 Comment s’est-il diffusé, à partir des ports, des grandes villes et des cités industrielles touchés par la puissance commerciale anglaise, en Amérique latine (Argentine, Brésil, Uruguay…) et en Europe, gagnée par l’anglomanie sportive ? Et aussi par la Suisse pour l’Europe méridionale (Espagne, Italie) ! > > P.88-101 Après des rencontres internationales (entre clubs ou « sélections » depuis le premier Angleterre-Ecosse de 1872) et la création de fédérations nationales au tournant du XXème siècle, quels débats, concernant les nationalités, agitèrent la Fifa (fondée en 1904) ? Comment naquit en son sein le projet de compétition internationale s’émancipant des Jeux Olympiques > >p.101-112 Au chapitre 3, le lecteur pourra suivre sa pratique pendant la Grande Guerre et son développement dans l’après-guerre. Quelles fonctions (contradictoires) ont pu remplir les parties de ballon rond chez les combattants des deux camps en 1914-1918 ? En quoi la guerre a-t-elle permis le développement du football, par l’exemple des troupes britanniques pour les civils et sa découverte par les masses rurales de combattants > >p.113-128 Comment la fièvre nationaliste d’après-guerre entraîna-t-elle des affrontements dans la Fifa sur l’attitude à tenir à l’égard des vaincus (Allemagne, Autriche et Hongrie) > >p.128-132 Quelle signification ambiguë donner aux débordements de la foule lors de la finale de « Cup » en 1923, dans un stade de Wembley inauguré pour la circonstance ? Expression de l’engouement pour ce sport, s’étendant également sur tout le continent comme spectacle de masse et nécessitant la construction de grands stades ? ou manifestation des « classes laborieuses-classes dangereuses » > >p. 132-143 Comment, après le succès de la « Celeste » aux JO de Paris en 1924, les spectateurs européens découvrirent-ils avec admiration les styles différents du « futbol » uruguayen et argentin, à l’occasion de tournées de ces équipes sur le Vieux Continent > >p.143-148 Le chapitre 4 traite de l’instauration généralisée du professionnalisme à la fin des années 20 et au début des années 30, ainsi que de ses mutations. Comment, à partir du développement et de la popularité des compétitions, provoquant la concurrence entre les clubs, le professionnalisme va-t-il s’imposer en Amérique latine et en Europe (à quelques exceptions près : Allemagne, Scandinavie…), après des conflits, d’abord internes aux fédérations nationales puis à la Fifa, entre partisans du nouveau statut et tenants de l’amateurisme> >p.149-158 En liaison avec le professionnalisme, auquel continue de s’opposer le CIO (qui accueille le football aux JO), comment va se décider à la Fifa l’idée d’une compétition internationale autonome ? La première Coupe du Monde sera disputée en 1930 en Uruguay, suivie de deux autres avant la 2ème guerre mondiale (Italie 1934 et France 1938), dont l’auteur présente les principales caractéristiques. > > P.159-179 Quelles transformations connaît le football au cours de cette période, sur le plan interne (systèmes de jeu _ le WM et le « verrou » à côté du 3-2-5_, statuts des joueurs) et dans son environnement (naissance de « stars » _ les Espagnols Samitier et Zamora, l’Autrichien Sindelar dans une presse spécialisée en essor, utilisation publicitaire des joueurs dans la « consommation de masse »)> >p.179-195 Le chapitre 5 examine la politique des totalitarismes (fascisme, nazisme et stalinisme) vis-à-vis du football et aborde la période de la 2ème guerre, ainsi que l’après-guerre. Comment les régimes totalitaires reconfigurent-ils les institutions du football pour les faire participer à leurs projets de « l’homme nouveau » ? Y parvinrent-ils réellement auprès des peuples> >p.196-222 Comment la Fifa « composa »-t-elle diversement avec la volonté de ces régimes de politiser le sport selon leurs vœux, dans la période de bouleversements survenus en Europe dans l’entre-deux guerres> >p.222-227 Quelles significations donner au développement du football pendant la 2ème guerre mondiale ? L’attitude des joueurs fut-elle différente de celle de la population dans les pays occupés > >p.227-234 Comment, la paix revenue, l’URSS rejoignant la Fifa et l’Angleterre la réintégrant, le football (Dynamo de Moscou fin 1945, Hongrie en 1953-54 et son « 4-2-4 ») servit-il de vitrine politique aux régimes est-européens > >p.234-246 Le chapitre 6 s’intéresse au développement et aux formes du football sur le continent sud-américain depuis les années 30. Quels combats durent mener les pays d’Amérique latine pour remettre en cause la suprématie européenne au sein de la Fifa > >p.247-252 Comment le « futbol » et sa passion furent-ils utilisés à des fins propagandistes par les régimes militaires (par exemple en Argentine ou au Chili) > >p.252-257, p.275-279, p.287-290, p.290-297 Quelles raisons ont permis au Brésil de devenir « le royaume du football » par son « futebol-samba », du « deuil de Maracana »(construit pour l’occasion) en 1950 à son triplé 1958-1962-1970 avec « le roi Pelé » en Coupe du monde > >p.257-275 La guerre entre le Honduras et le Salvador en 1969 fut-elle réellement «une guerre du football » > >p.279-286 Et, pour clore ce chapitre, sur quoi s’est constituée la légende de Maradona > >p.298-301 Le chapitre 7 suit le difficile chemin emprunté par le football tant dans l’Afrique colonisée que dans celle des indépendances. Pour quelles raisons le colonisateur, qui avait introduit le football sur le continent, freina-t-il sa diffusion parmi les populations > >p.302-307 Dans quelles conditions participa-t-il avant la 2ème guerre et dans les années 40-50 à l’éclosion des aspirations nationales > >p.307-320 Depuis les indépendances (années 60), comment est-il étroitement contrôlé par des régimes autoritaires ? En quoi l’état général médiocre de sa pratique reflète-t-il le sous-développement économique d’un continent en proie aux conflits à l’intérieur des nations et entre elles? Ce qui entraîne l’émigration massive de ses talents en Europe > > P.320-325, p.329-339, p.344-347 Comment la CAF (créée en 1957) va-t-elle progressivement gagner sa place à la Fifa (augmentant sa représentation en Coupe du monde) et organiser ses compétitions continentales (Coupe des nations, Coupe des clubs) > >p.325-329, p.339-343 Le chapitre 8 nous présente le renforcement du football européen en organisation, sa commercialisation grandissante aussi, et ses valeurs sportives successives dans les années 50-70. A quelles questions politiques (division Est-Ouest, problèmes turc et israélien…) fut confrontée l’Europe du football pour se constituer (UEFA en 1954) et parvenir à sa configuration actuelle ? Quels intérêts commerciaux poussèrent à la création de la Coupe des clubs champions > >p.348-361 Le Real Madrid, dominateur en Europe avec Di Stefano, fut-il la vitrine du franquisme ? Régna-t-il en maître incontesté sur le championnat espagnol > >p.361-372 Comment le football portugais, organisé sur le modèle fasciste par le régime de Salazar, renforcé par les joueurs de ses colonies africaines, se fit sa place sur le continent, grâce au Benfica de Lisbonne et à sa sélection nationale (3ème du Mondial 1966, avec Eusebio) > > P.372-376 Quelles facteurs économiques et culturels éclairent la montée en puissance des clubs italiens (pratiquant le « catenaccio ») puis néerlandais (adeptes du « football total » et du pressing) dans les années 60-70 ? Ce passage se poursuit par l’évocation de Cruyff, de l’Ajax Amsterdam au FC Barcelone, et se termine par l’affrontement des Pays-Bas et de l’Allemagne de Beckenbauer en Coupe du monde 1974. > > P.376-394 En rapport avec la consommation de masse née de la croissance économique du continent, quel essor prit la commercialisation du football, en particulier pour les équipementiers (Adidas, Puma)> >p.394-398 Le chapitre 9 cherche à comprendre les diverses spécificités du football en France, qui expliquent sa place dans le concert international. Quels conflits de divers ordres (la question religieuse notamment) accompagnèrent l’implantation du football en France, jusqu’à la création de la 3F en 1919 ? A partir de quels foyers géographiques > >p.399-409 Quels résultats peu brillants obtinrent les clubs ou les sélections au niveau international jusqu’à la « génération de 1958 » (Kopa, Fontaine…)? Et combien de « défaites honorables » fallut-il connaître, à côté d’épisodiques succès remportés par une puissance moyenne de football (Euro 1984 de la « génération Platini, OM en Coupe d’Europe 1993, Mondial 1998 et Euro 2000 de la « génération Zidane »…)> >p.409-419 Pourquoi le football, indéniablement sport populaire en France, n’est-il pas le sport national ? Quelles conditions économiques et politiques expliquent la faiblesse structurelle du professionnalisme français (né en 1932) par rapport à d’autres « grands championnats » européens > >p.420-430, p.438-443 En quoi la Coupe de France (« rite républicain » depuis 1917) d’une part, l’intégration de ses immigrations dans le football d’autre part constituent-elles une « exception française » > >p.430-438 Le chapitre 10 donne quelques pistes sur la profonde mutation du football dans les années 80, entraînée par la retransmission massive des matches à la télévision. En quoi la télévision, s’imposant dans les stades en 1966 à l’occasion de la Coupe du monde anglaise, a-t-elle bouleversé à partir des années 80 le football dans tous ses aspects ? Sur le plan économique : droits de diffusion par des chaînes privées, publicité des « sponsors », recettes des clubs et salaires des joueurs… ; dans ses rapports au politique : par exemple Berlusconi, Tapie; dans le contenu même du « spectacle sportif » : recherche de nouveaux publics-clients, « supporterisme »). > > P.444-470 Quelles raisons expliquent le hooliganisme, apparu dans les années 60, et son relatif endiguement après « le drame du Heysel » (1985) > >p.470-485 Dans l’épilogue, intitulé « Prolongations », Paul Dietschy, revenant sur un siècle et demi de football, pointe un certain nombre de questions concernant l’état mondial de ce sport et ses perspectives. Pourquoi le « soccer » ne s’est-il pas (encore ?) imposé aux Etats-Unis, bridé par d’autres sports nationaux (base-ball, football américain etc) > >p.488-494 Quels obstacles politiques et culturels se sont dressés contre sa reconnaissance massive au Moyen-Orient et en Asie (Chine, Japon…) > >p.494-502 L’affirmation du football féminin, difficile malgré un départ prometteur avant 1914, est-elle liée aux progrès de la condition féminine > >p.502-507 « L’arrêt Bosman » (de la Cour de justice européenne en 1995, libéralisant totalement les transferts transnationaux) est-il le signe annonciateur, conforme à la mondialisation, de l’éclatement du modèle institué par la Fifa des Etats-nations > >p.507-512 En relation avec ce qui précède, comment la logique financière (droits télévisés, « merchandising », manne publicitaire des sponsors…) a-t-elle amené à une aristocratie fermée de clubs, menacés cependant par la spirale inflationniste… et empli les caisses de la Fifa et de l’Uefa > >p.512-522 Un livre indispensable, donnant une vision globale et de la cohérence aux connaissances sur ce sport. Le lecteur qui souhaiterait approfondir une question traitée pourra puiser dans l’ample bibliographie thématique à la fin de l’ouvrage. Dans son prologue, intitulé « Coup d’envoi », l’auteur considère qu’une meilleure connaissance de son histoire permettra d’échapper à toute analyse totalisante et manichéenne (dénonciation ou vision béate d’un sport « pur ») de ce phénomène complexe qu’est le « people’s game ». > > P.11-16 En effet, ce livre nous montre que le football, enfanté par la civilisation industrielle capitaliste, adopté par les classes populaires en réaction à celle-ci, s’inscrit dans la grande histoire : il en a logiquement subi les marques sombres et continue à les subir. Et pourtant il continue aussi à apporter aux hommes de toutes conditions sur la planète du plaisir (de jouer, de regarder), des émotions d’ordres dramatique et esthétique, le sentiment d’appartenir à une humanité commune. Son avenir, inquiétant ou lumineux, est donc lié au sort de la civilisation… Loïc Bervas (août 2010) |