Présentation de Football, je t’aime… moi non plus

Présentation de Football, je t’aime… moi non plus
Jean-Claude Trotel (ed. L’Harmattan – 2000)

Dans ce court essai, Jean-Claude Trotel, s’appuyant sur sa quadruple expérience de joueur, d’entraîneur, de spectateur et d’enseignant en sport à l’Université de Rennes2, a essayé de comprendre les différentes raisons de s’intéresser au football, en croisant sa fine compétence technique de ce sport et un regard sociologique solidement informé.
Il donne d’emblée sa position  : «  privilégier le plaisir lié à la qualité du jeu et non supporter inconditionnellement une équipe  ». Il va la faire partager en examinant ces deux grandes catégories d’amateurs de football, de la manière scrupuleuse et intègre qu’on lui connaît, c’est-à-dire en dialoguant avec ceux qui ne partagent pas ce point de vue.
Il s’attache donc d’abord à analyser «  les émotions chauvines liées au supporterisme» (1ère partie).




Le pouvoir émotionnel du football tient selon lui à l’incertitude du résultat  : ce n’est pas toujours la meilleure équipe, celle qui domine et joue le mieux, qui gagne un match. Nous avons tous en mémoire des «  hold-up  parfaits  », beaucoup moins possibles dans d’autres sports où la hiérarchie initiale est très généralement respectée à la fin du match. D’autre part, la rareté des buts au football, comparée aux scores dans les autres sports collectifs (hand-ball, basket etc), provoque de ce fait une joie ou une tristesse, selon le camp auquel on appartient, plus intense quand il s’en produit.

Il souligne ensuite la puissance d’identification à une équipe (de ville, de région, de nation), s’incarnant dans le «  On a gagné  », quelle que soit la qualité du jeu pratiqué  : la victoire de «  son  » équipe, pour le supporter inconditionnel, représente une revanche, une compensation aux frustrations accumulées dans la vie sociale, permettant une illusoire affirmation de soi en même temps que l’inscription dans une communauté.
Sans méconnaître les formes extrêmes de violence que prend le hooliganisme, c’est «  la violence ordinaire des supporters ordinaires  » qui le met mal à l’aise, comme il a pu le constater lors de soirées «  électriques  » dans des stades en général apaisés, en proie alors à une agressivité exacerbée.

En opposition à cette manière de s’intéresser au football, il affirme que le plaisir authentique né de ce sport est lié au beau jeu (2ème partie).
Et il sait parler du beau jeu avec justesse et finesse, dans son expression collective et sa relation avec l’action individuelle.

Jean-Claude Trotel se demande ensuite si ce culte de la beauté du jeu a une portée universelle ou s’il n’est pas le fait de catégories sociales particulières. Il présente en particulier la thèse de Pierre Bourdieu, qui envisage dans La distinction les goûts de chacun en fonction du niveau socio-culturel dont il a hérité  : selon le sociologue, un clivage existe entre les couches socio-culturelles élevées, qui privilégient la finesse par rapport à l’affrontement physique, la forme au détriment de la fonction, qui serait l’expression du pragmatisme des classes sociales moins cultivées, que leurs conditions matérielles d’existence entraîneraient vers la seule efficacité de l’action.
Il s’inscrit en faux contre ce clivage, en constatant qu’au football, la forme (finesse, qualité du jeu) est nécessairement liée à l’efficacité (marquer des buts)  ; les gestes techniques, les passes ne peuvent être gratuits, ils doivent trouver leur accomplissement dans le but marqué.
A l’appui de sa position, il présente de façon convaincante des enquêtes faites avec ses étudiants auprès d’une large population de footballeurs de tous niveaux amateurs  : l’appréciation de buts marqués après de belles actions collectives ou de fins gestes individuels, au contraire de ceux réussis grâce à la force physique, est largement plébiscitée, quel que soit le niveau socio-culturel: «  la majorité des joueurs incline vers un style de jeu fait de finesse  ».

A l’issue de cette présentation des deux catégories (les supporters, les amoureux du beau jeu), il constate que si elles sont contradictoires dans leurs motivations, elles coexistent bien souvent chez beaucoup de spectateurs de football.

Ce qui l’inquiète, c’est que «  le supporterisme est aujourd’hui cultivé  » (3ème partie).
L’idée du «  public-  12ème  homme  » s’est banalisée  : le soutien inconditionnel du public, tourné vers le seul résultat, est demandé par les dirigeants de clubs, avec souvent la complicité de la presse sportive à la veille d’un match important, quasi exigé par le speaker officiel qui «  chauffe  » le stade avant la rencontre… avec le risque d’effet-boomerang  : en cas de défaite de «  leur  » équipe, les supporters manifestent leur «  honte  », leur désillusion aux joueurs, à l’entraîneur, au président  !

Dans la 4ème partie, il se demande si «  la notion de beau jeu est complètement évacuée  ».
Pour cela, il passe en revue les différents acteurs du football.
Les présidents de clubs, dirigeants d’entreprises appliquant dans le football les recettes de leur réussite, donc inclinant davantage vers un projet de développement financier que sportif dans la durée, car ils sont soucieux de rendements immédiats, sans être trop regardants sur la qualité du jeu pratiqué par l’équipe.
Les entraîneurs aux formules stéréotypées pour expliquer qu’il faut jouer la défense, et aux idées reçues opposant «  la manière  » aux résultats, à de louables exceptions. Il incrimine alors la formation des entraîneurs par la DTN en France, qui les pousse à la docilité, à l’absence d’esprit critique s’ils veulent obtenir leurs diplômes.
Des joueurs sous emprise  : ils doivent comme salariés accepter les ordres des entraîneurs pour garder leur job, même s’ils apprécient le plaisir de jouer quand l’occasion leur en est donnée.
Une presse souvent incohérente  : capable d’apprécier de belles actions, mais pareillement élogieuse sur «  l’engagement  », les «  duels musclés  », quand les défenseurs s’en sont donné à cœur joie dans les tacles et les coups défendus.
Des arbitres dont la tâche n’est pas aisée s’ils veulent appliquer les règlements pour protéger les attaquants, du fait des pressions de tous bords les accusant de fausser le résultat s’ils sortent logiquement des cartons rouges.
Sur ce plan, il demande des règles plus précises sur le tacle glissé latéral (touchant le ballon et emportant les jambes de l’adversaire), le tirage de maillot, et se prononce pour la vidéo pour les hors-jeu.

En conclusion, en dépit de sa lucidité sur les maux qui risquent de «  tuer  » le football «  Les mendiants du beau football doivent-ils craindre le pire  ?  », notre ami n’en demeure pas moins optimiste sur les possibilités de continuer à voir du football selon ses vœux.

Loïc Bervas (juin 2010)

Jean-Claude Trotel  : un messager du beau jeu

Son frère Paul, qui a été lui-même un très bon joueur amateur, a accepté pour le site de retracer les liens multiples qui ont toujours uni Jean-Claude au football  :


Jean-Claude débute sa carrière footballistique au Stade Lamballais, petite ville des Côtes d’Armor où il est lycéen. Il joue dans l’équipe «  cadets  » (15-16 ans) au poste de gardien de but. Il poursuit ses études secondaires à l’Ecole Normale de Saint-Brieuc et prend une licence au Stade Briochin (DH-CFA), où il évolue comme gardien puis, plus tard, en attaque où sa vitesse de course (champion de Bretagne du 100m) est bien exploitée  : avec un certain succès, puisqu’il est sélectionné dans l’équipe de l’Ouest (1958-59).

En 1960, il gagne la capitale afin de préparer le professorat d’EPS à l’ENSEP. Parallèlement, il rejoint le club du CA Montreuil. A Paris, il rencontre l’équipe du Miroir du Football (F. Thébaud, P. Lameignère etc). Cette rencontre sera déterminante puisque, lui qui avait une vision plutôt conformiste du foot, sera convaincu et même enthousiasmé par les idées novatrices de ces journalistes. Par la suite, il ne se départira jamais de cette conviction  : le football est un sport collectif et offensif, idée théorisée par P. Lameignère qui démontrait très clairement que depuis son origine le football allait dans ce sens, même si l’évolution n’était pas linéaire.

Après avoir obtenu son diplôme de professeur d’EPS, il effectue son service militaire en Bretagne à Dinan. Il est domicilié à Saint-Cast et y entraîne l’équipe locale.

Ses obligations militaires achevées, il est nommé au lycée du Vau Meno (devenu Lycée Freyssinet). C’est alors qu’il est contacté par le président du Stade Lamballais, M. Le Drogoff  : celui-ci cherche un successeur à l’entraîneur André Pouliquen, qui désire mettre fin à sa carrière. C’est d’ailleurs André, aux idées progressistes et amoureux du beau jeu, qui a demandé à son président de s’adresser à Jean-Claude Trotel pour poursuivre ce qu’il avait entrepris.

Le club évolue en PH, et accèdera en 1969 en DH (CFA actuel), en pratiquant de façon immuable un football collectif et offensif s’appuyant sur la défense en ligne. Pour essayer de continuer à progresser, le club s’est doté d’un magnétoscope, une innovation, car très peu d’équipes, même professionnelles, disposent alors de ce matériel. Autre innovation importante  : la création d’un foyer qui se veut lieu de vie pour les jeunes, tous les membres et proches (femmes, enfants) du club. A noter aussi que le président, Yves Tardivel, est un joueur, ce qui est très nouveau.

En même temps que toutes ces actions, Jean-Claude Trotel collabore au Miroir du football et milite très activement au sein du MFP (Mouvement Football Progrès). Sa force de conviction, son charisme ne sont certainement pas étrangers au fait que la Bretagne (avec l’Ile-de-France) est la région la plus active pour promouvoir ce mouvement.

En 1972, il est nommé à l’UEREPS de Rennes (football et sociologie) et ne peut plus assurer aussi complètement son rôle d’entraîneur et d’animateur au Stade Lamballais  ; un collectif de 4 joueurs l’y aidera.

En 1976, J-Claude Trotel cesse ses activités au club et, sur ses conseils, sera remplacé par des collectifs de joueurs qui se succèdent tous les 2 mois.

Jean-Claude Trotel gardera bien sûr un regard attentif sur le Stade Lamballais et continue son «  œuvre  » à l’UFRAPS de Rennes  : beaucoup de ses «  étudiants-disciples  » retournent porter la bonne parole dans leurs clubs respectifs. Il est aussi en contact avec le Stade Rennais et, selon les staffs techniques, ces contacts peuvent être intéressants.

Retraité, il publie un livre Football je t’aime…moi non plus, où, d’une manière volontairement simple et accessible à tous, il porte un œil à la fois amoureux et critique sur le foot dans son ensemble.