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27 mars 2010, à Pont-Scorff, petite ville de l’agglomération lorientaise (Morbihan): Armand Penverne, natif de la localité, dévoilait la plaque du stade qui porte désormais son nom.
Il était entouré de joueurs amis et de coéquipiers de l’équipe de France
pendant « l’épopée suédoise » de 1958: André Lerond, Dominique Colonna,
Michel Hidalgo… et deux membres d’honneur de « l’Association des amis
de François Thébaud », deux « légendes » du football français et international,
Just Fontaine et Raymond Kopa.
C’était l’occasion de les faire évoquer la figure du fondateur du Miroir
du football.
Vos carrières de footballeurs ont souvent rejoint celle du journaliste
François Thébaud : quel est votre souvenir le plus fort de lui ?
François Thébaud et Just Fontaine (1968) |
Raymond Kopa : Quand en mai 1958, je suis revenu d’Espagne en France pour préparer la Coupe du monde, j’ai donné l’exclusivité de mes entretiens à Miroir Sprint.
Le magazine avait organisé une réception en mon honneur et j’avais répondu
au discours de Maurice Vidal [directeur de la publication NDLR] : « Ce
n’est pas à vous que j’ai donné cette exclusivité, ni à Miroir Sprint,
c’est à François Thébaud ». Et alors les applaudissements ont été plus
forts.
Pour moi, c’était un personnage important. Ses conceptions étaient les miennes, pas toujours, mais on se rejoignait dans beaucoup de domaines. C’était un journaliste, mais c’était surtout l’ami. J’ai dans mes archives beaucoup de photos de Miroir Sprint et du Miroir du football ; elles vont d’ailleurs me servir car je vais sortir un album en mai prochain. |
Pourquoi cette exclusivité? Il a joué un rôle important. A cette époque, j’étais joueur du Real, mais je n’avais aucune chance de jouer en équipe de France, à cause des journalistes : ils estimaient que je n’avais pas ma place dans l’équipe, parce que je prendrais la place d’un garçon qui avait fait les qualifications.
Just Fontaine : On disait qu’il était parti pour gagner de l’argent, donc il ne méritait pas de jouer en équipe de France. Il y avait peut-être une certaine jalousie…
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R.K. : Non, ce n’est pas cela. C’est vrai que je gagnais plus, mais je jouais
dans la meilleure équipe du monde ! Aujourd’hui, bien souvent les joueurs
vont n’importe où pour gagner de l’argent.
Il a fallu que l’équipe soit moyenne pendant les matches de préparation. Et heureusement il y avait des gens comme Thébaud. On n’a joué qu’un match de préparation ensemble, Just Fontaine et moi, et j’ai retrouvé l’équipe de France et les joueurs de valeur que j’avais connus avant, sans problème.
Résultat, on a terminé 3èmes, et on aurait même dû terminer 2èmes, parce qu’on était les plus forts après le Brésil… et en jouant longtemps à 10 contre 11 lors de la demi-finale avec le Brésil ! |
Vous disiez tout à l’heure que vous n’étiez pas d’accord sur tout avec François, vous pouvez préciser ?
R.K : Je n’ai jamais été l’homme des systèmes, que ce soit la défense en ligne ou le béton. Reims, c’est l’équipe qui a inventé tous les systèmes, les adversaires ne savaient pas comment faire pour nous battre. Quand je suis arrivé au Real, tous les clubs qui nous rencontraient ne pensaient qu’à défendre : s’ils nous attaquaient bêtement, ils en prenaient 10 (là j’exagère un peu !). On faisait la différence, quel que soit le système. Ce que je veux dire, c’est que tout est question de valeur des joueurs : ma chance, c’est d’avoir eu des joueurs de grand talent dans l’ensemble à Reims ou au Real quand j’y ai joué.
J.F. : De toute façon, quand on joue le même système, ce sont les valeurs individuelles qui font la différence à l’arrivée, on est bien d’accord là-dessus.
R.K. : François était mon ami, mais je n’ai jamais été influencé par qui que ce soit. Je jouais en fonction de mes possibilités. Et puis, quand un entraîneur - je veux parler d’Albert Batteux - te dit : « Raymond, si tu ne dribbles plus, je te retire ... ! » Cela m’a permis de jouer comme je savais, sans dépendre des critiqueurs. L’essentiel, c’était que l’entraîneur m’aide, c’est important psychologiquement quand tous les journalistes m’attaquaient en écrivant : « Kopa, c’est du petit jeu, c’est du dribble »…
Et au Real, quel était votre entraîneur ?
R.K. : Ce n’était pas un entraîneur, mais un professeur d’Education physique et de Sport, Villalonga ; et après, c’était Carneglia. Mais c’était nous sur le terrain qui faisions l’entraîneur ! Enfin, il ne faut pas exagérer, il servait quand même…
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Justo, je vous pose la même question qu’à Raymond : que représente François
pour vous ?
J.F. : C’est d’abord quelqu’un qui aimait le football ! Et puis ses conceptions
offensives du football se rapprochaient des miennes. Quand j’ai été entraîneur
de l’équipe de France et que j’ai fait adopter la ligne, il m'a soutenu
!
Ceux qui avaient dit au Moyen Age que la terre tournait sur elle-même autour
du soleil ont été brûlés, moi non ! Finalement, toutes les grandes équipes
du monde, même l’Italie qui est la patrie du catenaccio, et à l'exception
de la Grèce lors de l'Euro 2004, s'appuient sur la défense de zone ! |
Certes vous n’avez pas été brûlé mais on vous a laissé deux matches... !
J.F. : Mais je suis « imbrûlable » ! Cela me fait un autre record du monde. J’en détiens trois : les 13 buts en phase finale de Coupe du monde, mes 30 buts en 21 sélections, sans tirer les penalties ni les coups-francs _Platini, il en a marqué 41, je crois, en 75 matches _ et celui-là ; et celui-là, pour le battre, ça va être dur ! Parce que maintenant quand on fait signer un entraîneur, c’est pour plus de deux matches !
En plus, j’étais président du Syndicat des joueurs et imposé au poste de sélectionneur par le milliardaire communiste [feu Jean-Baptiste Doumeng, président à l'époque du F.C. Toulouse NDLR] ! J’avais tous les dirigeants contre moi. Et la deuxième rencontre, c’était contre l’URSS, championne d’Europe alors, qui n’avait pas perdu un match cette année-là : au Parc des Princes, on mène 2-1 à la mi-temps.
Je peux vous dire que les dirigeants dans les tribunes, ils faisaient « pouet pouet », parce que si on avait gagné, peut-être que j’y serais encore ! [3 mars 1967: défaite finale 2-4 des Tricolores NDLR].
Quel regard portez-vous sur le football actuel ?
J.F. : Actuellement, le football pour moi est personnifié par le Barça et Arsenal. Au Real, il y a beaucoup de talents, mais parfois l'équipe présente un déséquilibre parce qu’il y a des joueurs offensifs qui sont trop personnels : les jours où cela réussit, ça va, mais les autres jours, ils perdent comme contre Lyon en Ligue des champions.
R.K. : Il y a toujours une équipe qui domine les autres, aujourd’hui, c’est le Barça…
J.F. : Vous savez pourquoi ils sont comme cela ? C’est parce qu’au Barça, il n’y a pas besoin d’être grand, de présenter des gars de 2 mètres !
R.K. : Oui, Messi, meilleur joueur de l'année 2009, fait 1,69 m…
J.F. : Comme Pelé, qui n’était pas grand. Et il n’y a pas que Messi, regardez Iniesta, Xavi ou même le défenseur Alves à Barcelone ou Fabregas à Arsenal etc
R.K. : On n’a jamais été gênés par les grands gabarits. Quand il y avait un match international, on recevait la composition de l’équipe adverse, on connaissait l’adversaire en face de nous avec ses mensurations ; moi, quand j’avais sur moi un gars d’1,80m, j’étais content : « Celui-ci, il ne va pas me voir » ; par contre, quand il faisait 1,70m, je me disais : « Merde, il va aller aussi vite que moi ».
En plus, j’ai horreur de la tricherie. Moi, pour la main de Thierry Henry, j’aurais dit que j’avais mis la main. Je défends le fair-play, il y a une « Coupe du fair-play Kopa ». Pour moi le fair-play, c’est capital. Je ne veux plus voir les accrochages, les coups incessants. Dans les 16 mètres, ce sont des penalties continuels sur les tirages de maillots.
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J.F : C’est vrai, dans les surfaces, il y a 20 types qui font faute, se tirent, se poussent : 10 coups francs ou penalties par corner !
Le danger de tout cela, c’est que même en recourant à la vidéo, l’arbitre
pourra faire gagner qui il veut parce que les joueurs commettent tous des
fautes.
La vidéo prouvera que le joueur sanctionné a fait faute, mais celui qui lui était opposé avait, avant, fait faute aussi !
L’arbitre pourra faire gagner qui il veut ; et on ne pourra pas le sanctionner
car on ne saura pas s’il était honnête, corrompu ou incompétent.
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Et sur l’équipe de France ?
R.K : D’abord je voudrais revenir sur la main de Thierry Henry. François Thébaud, qui était un homme intègre, ne l’aurait pas acceptée.
Soit, mais je ne crois pas qu’il aurait fustigé le joueur...
J.F : Il aurait quand même trouvé anormal que Thierry Henry fête le but comme s’il était valable.
R.K. : Il s’est excusé ensuite, mais là où il n’a pas été bon, en effet, c’était de fêter le but.
Je disais tout à l’heure que les journalistes en fait nous avaient rendu service en 1958 en nous critiquant avant la Coupe du monde : il faut « bouger » les joueurs. Nous, on s’est défoncés avec cela.
Pour le sélectionneur actuel, il y a du pour et du contre… Ce dont on est sûr, c’est qu’il s’en va après la Coupe du monde.
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J.F. : Il y a des choses qui ne vont pas quand même !
R.K. : Il est ironique avec les journalistes. C’est un acteur : il a fait du théâtre, il en fait avec les journalistes. En tout cas, dans les sélectionnés, il n’y en a pas beaucoup qui posent problème. Quels sont les joueurs en France qu’il peut sélectionner ? Très peu jouent en France, ils jouent tous à l’étranger. Partant de là, il est capable de faire comme n’importe qui, même moi. Donc je ne le critique pas ; en plus, je ne le connais pas.
En 1998, il y a eu de grosses critiques aussi avant la Coupe du monde, le sélectionneur a été éreinté : il était le plus mauvais du monde… Et aujourd’hui, re-belote. Je ne dis pas qu’on a une super-équipe, avec des super-joueurs, mais on a des joueurs aussi valables que dans d’autres sélections.
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J.F : Aimé Jacquet a été intelligent. Après, il n’a pas entraîné de club ou de sélection à l'étranger alors qu’il a reçu des propositions. Parce que s’il l’avait fait et avait échoué, les critiques auraient repris, alors que là il est resté sur ce titre.
Je trouve que Raymond Domenech, après l’Euro de 2008, aurait dû être remplacé.
Il y a des trucs qui ne vont pas : par exemple, Frank Ribéry voudrait jouer à gauche, un autre au centre, mais quand tu es en équipe de France, tu joues où on te dit de jouer et tu fais le maximum.
Pour les 3 attaquants et les 2 arrières centraux, il faut désigner les titulaires deux mois à l'avance, sinon ils vont se « farcir la tête ».
La discussion entre les deux amis aux personnalités différentes, Kopa posé et « sérieux », Fontaine à la faconde méditerranéenne, aurait pu se poursuivre encore longtemps s’ils n’avaient été priés de rejoindre le groupe pour la suite de cette journée organisée en l’honneur d’Armand Penverne, qui vint me dire avec humour : « Vous n’avez pas interrogé les meilleurs ! » J’avais pu constater précédemment l’estime et la réelle amitié réciproques, forgées il y a plus de 50 ans, entre ces hommes…
Propos recueillis par Loïc Bervas
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