Le Jeu en débats par Simon Lebris

Le jeu en débat, par Simon Lebris

Ce n’est pas si souvent que la chaîne L’Equipe aborde les questions de fond. Celle du culte de la gagne contre l’amour du beau jeu était en débat au soir de la qualification des Bleus pour la finale de la Coupe du monde. Un peu court, forcément, mais intéressant.

“L’Equipe du soir” est animée par Olivier Ménard, monsieur cent mille dents, qui alterne avec doigté le sérieux et la gaudriole. Ce mercredi 11 juillet, deux questions ont suscité des débats dont le contenu aurait pu mener jusqu’au lever du jour les participants (l’ex-coéquipier de Platini Olivier Rouyer, le consultant Paul Le Guen et le “président” Johann Micoud, eux aussi anciens internationaux, les journalistes de L’Equipe Erik Bielderman, Guillaume Dufy et Sébastien Tarrago).
«  La France est-elle un pays de football  ?  »
Unanimité des réponses  : non. Certes avec des nuances  : pour Olivier Rouyer, plus généralement, la France n’est pas un pays de sport, ne se réveille que lorsqu’un de ses représentants, individuel ou collectif, parvient en phase finale d’une compétition. Même constat, mais plus catégorique, chez Sébastien Tarrago  : «  En France, on aime le football lorsque la France gagne, on le rejette quand ça va mal  ». Paul Le Guen est allé un peu plus loin dans l’inquiétude  : «  La France est un pays de football de haut niveau. Par contre, la pratique du football amateur devient un problème  : les petits clubs sont obligés de se regrouper en associations et la pratique du football chez les jeunes ne se fait plus de la même façon [qu’autrefois  ?].  » Il aurait pu également se demander si le jeu selon lui frustrant de l’équipe de France n’était pas un peu responsable de ce relatif abandon. Une équipe qui fait plaisir à regarder, au-delà du résultat, donne envie de jouer. Encore plus quand le succès est au bout. Quand il ne s’agit que du résultat, il faut alors que la réussite soit maximale. En l’occurrence, si l’équipe de France l’emporte contre la Croatie, on peut prévoir un engouement. Aux entraîneurs de ces nouveaux venus de leur donner le goût du beau jeu. Ce qui nous a amenés à l’autre question de la soirée.
«  Les Bleus frileux  ?  »
Autrement dit, le culte du résultat au détriment de la manière est-il respectable  ? On connaît notre réponse  : non, en toutes circonstances, même atténuantes comme peuvent l’être celles d’une Coupe du Monde. Pour Olivier Rouyer, la question ne se pose même pas dès lors qu’on est en passe de remporter une telle compétition. Erik Bielderman, à l’approche d’une victoire finale qui ferait du bien dans les phynances de son employeur, ne craint pas de se transformer en supporter, juste le temps du match prétend-il, quitte à reprendre ensuite le questionnement. Son collègue Sébastien Tarrago nous a beaucoup étonnés, en bien (mais peut-être ne le lisons-nous pas assez souvent)  : «  Dans le sport, je recherche le spectacle, la qualité technique et l’émotion. Ne me demandez pas d’être en joie, d’être ému avec le football que pratique l’équipe de France. On a le droit de respecter les gens qui ne vivent pas la Coupe du Monde uniquement à travers le sentiment national  ». Paul Le Guen, qui n’a pas été le joueur le plus sémillant qu’on ait connu, développe une argumentation séduisante  : «  Le débat sur le jeu ne sera jamais accessoire. C’est notre rôle à nous, consultants, de l’animer. […] Je respecte toutes les formes de jeu, défensif, offensif, mais je préfère regarder un beau football, avec des passes redoublées, qu’un football… restrictif  » (ce dernier mot suggéré par l’animateur). Dans son rôle d’entraîneur, qui est le sien actuellement en Turquie, Le Guen nous dirait qu’il y a un peu de marge entre ce qu’on aime et ce qu’on obtient… Johan Micoud, lui, ne nous a pas surpris avec des propos dans la ligne de l’élégant meneur de jeu offensif qu’il fut  : «  Ce n’est pas parce qu’on fait du jeu qu’on perd, qu’on a envie de perdre. On fait du jeu aussi parce qu’on a envie de gagner  ».
Reste à mesurer la portée d’un tel débat. On fut heureux qu’Olivier Ménard l’ait appuyé d’une citation forte de Christian Gourcuff  : «  La culture de la gagne, je crois que c’est une escroquerie. Vouloir gagner, évidemment, ça fait partie de la compétition, mais ce sont les moyens pour y arriver qui sont les fondements du sport  : l’épanouissement, le plaisir, la progression du joueur. La progression amène les résultats naturellement. Le Barça a été l’illustration complète de cela. On ne peut pas opposer la manière au résultat. Ce ne sont pas les esthètes qui sont contre le résultat, ce sont les arrivistes qui sont contre la manière  ». Propos recueillis dans L’Equipe du 14 février 2014 et dont Paul Le Guen n’a pas cautionné la violence de la première phrase. Il est souhaitable que de tels débats soient renouvelés, pour que les voix du football offensif se fassent entendre davantage, pour que la critique du jeu déprimant de l’équipe de France de Deschamps, en dépit des titres dithyrambiques des journaux, ne soit pas noyée dans le gris d’un article signé Vincent Duluc, l’homme à tout écrire de L’Equipe  : «  Si la stratégie défensive de France-Belgique (1-0) rapproche Deschamps de Jacquet, au point que l’on ne souhaite pas que la Ligue 1 joue de cette manière dans les quinze prochaines années…  ».

P. S. Pour revoir l’émission  : https://replay.orange.fr/#tvreplay/content/catchuptv_equipe21&E21CU015308