Deschamps, gâcheur de talents
par François Sorton

Deschamps, gâcheur de talents par François Sorton

C’est une idée qui n’est pas la bienvenue, un scénario de science-fiction qui nous trotte dans la tête  : et si Deschamps, comme Zidane, décidait au faîte de sa gloire de prendre sa retraite de l’équipe de France  ? Ca n’arrivera pas, il semble très heureux comme ça mais il gâche tellement de talents qu’on souhaiterait qu’il nous surprenne en précipitant son départ.



V comme Victoire
Tous les experts en météorologie ou en sciences humaines ne savent pas expliquer ce qu’est le vent dans le dos. L’équipe de France a le vent dans le dos  : quoi qu’elle fasse, elle gagne. Championne du monde, elle semble aussi à l’aise quand elle a le ballon qu’une poule qui trouve un couteau. Mardi soir, pour rester dans la basse-cour, elle a encore battu l’Allemagne (2-1) qui ne casse plus quatre pattes à un canard depuis la Coupe du Monde. A la fin du match, les 80.000 spectateurs ont scandé le nom de «  Deschamps  », frais cinquantenaire tatoué V comme Victoire. Il faut évidemment respecter la rage de gagner, la détermination, la réaction d’une équipe mal en point plus d’une mi-temps mais le football français a une telle génération de vrais cracks que se contenter du service minimum est vexant pour le passionné exigeant. Les supporters, eux, ébahis par le succès, sont acquis à la thèse que le football est devenu une industrie lourde qui emprunte le langage des pages roses «  du Figaro Economique  »  : efficacité, hyperréalisme, rentabilité, compétitivité, rendement, pragmatisme. Il faudrait lire le football comme on lirait un cahier des charges  : c’est assommant. Le tableau d’affichage est la vibration  suprême; une équipe qui perd en faisant un excellent match _ ça peut arriver _ sera moquée comme une équipe de losers.
Injonction au bonheur
Au prétexte que la France règne sur le toit du monde, il faudrait trépigner des pieds et des mains et s’adonner à la béatitude. Cette injonction au bonheur ne nous vient pas spontanément, on aurait plutôt tendance à la dédaigner tout simplement parce qu’on sort plus ou moins en rogne après chaque match. Les sélections nationales sont tellement faibles que l’équipe tricolore s’en sort sans qu’on puisse identifier qui elle est vraiment ni ce qu’elle veut mettre en place. On nous leurre avec un désir de «  jeu de transition  » qui n’est rien d’autre qu’une coquetterie sémantique pour ne pas employer «  jeu de contre  » qui apparaît péjoratif. Mais même son jeu de contre, donc, n’est pas très bien structuré et ne doit ses performances qu’aux éclairs parfois fulgurants de Griezmann et Mbappé. Le haut clergé médiatique nous assène que le trio Kanté-Pogba-Matuidi est formidable alors même que le fond de jeu, l’expression technique collective des Français est d’une médiocrité absolue. Rabiot, le jeune Lyonnais Aouar qui respirent le football pourraient donner une large assise créatrice mais ils n’entrent pas dans les schémas de Deschamps, pour qui la subtilité, la finesse, le sens du jeu sont des options facultatives, voire inutiles. Et que penser du si emprunté Giroud quand Mbappé attend la place  ? L’équipe de France devrait être une référence footballistique mondiale et marquer l’histoire du football comme ont pu le faire récemment l’Espagne ou l’Allemagne. Elle se contente de gagner à la petite semaine. Notre rancœur est à la hauteur du potentiel de passions que devrait susciter cette équipe. Ah  ! si Deschamps avait du goût pour les années sabbatiques…