Paroles de footeux… Football, passions ivoiriennes, par Bernard Gourmelen

Bernard Gourmelen, qui avait réalisé un reportage sur le football en Côte d'Ivoire l'an passé (cf voir sur le site) , y est retourné.
Il présente cette fois une série d'entretiens avec des "footeux", loin du "football paillettes" mais témoignages sensibles de cette passion universelle.
Paroles de footeux…

Des footeux du dimanche au village de Mahibouo, canton de Paccolo, département de Gagnoa
Un nouveau voyage en Côte d’Ivoire en ce mois de janvier 2020 m’a donné l’envie de présenter un deuxième volet de cette passion ivoirienne qu’est le football.

Juste avant de partir, j’avais lu une interview de Jean-Marc Guillou qui expliquait ce qu’il faisait actuellement en Côte d’Ivoire  : On s’attelle aussi à développer la pratique du football de masse en Côte d’Ivoire, en partenariat avec la Fédération du pays. Aujourd’hui, il y a 15  000 licenciés pour 26 millions d’habitants. Quand on voit que l’Autriche a plus de 300  000 licenciés pour 9 millions d’habitants. La Côte d’Ivoire devrait viser un million de licenciés. Il y a un réservoir énorme.
Portant, on trouve des footeux à tous les coins de rue qui vivent leur passion au quotidien mais hors cadre officiel. Je me suis donc interrogé sur le pourquoi de cette passion  : qu’est-ce qui fait qu’il y a autant de footeux sur des terrains aussi disparates à pratiquer ce sport  ?
Cette fois, il m’a semblé plus pertinent d’entendre la parole de ceux dont c’est effectivement la passion, ceux qui la vivent au quotidien. J’ai donc décidé tout simplement de poser trois questions identiques à différents footeux.
Voici ces trois questions  :
Qu’est-ce qui vous a amené à pratiquer le football  ?
Jouer au football, cela vous apporte quoi et que représente pour vous cette pratique  ?
Comment vous voyez cette pratique au plus haut niveau et quelles en sont les répercussions à votre niveau  ?
C’est ainsi que j’ai rencontré à la ville de Gagnoa, trois jeunes ivoiriens ou burkinabés âgés de 17 à 19 ans, pour qui le football reste une passion, en amateur du ballon rond. Ils seront dénommés par leur surnom de footballeur là où ils évoluent, à savoir  : Choky Iniesta, Carlos Messi et Vickiro. Ce qui permet ainsi de préserver leur identité.
J’ai poursuivi cette sommaire investigation en conversant avec un adulte (au surnom de Capello) qui, lui, joue au football hors cadre, dans le seul temps libre dont il dispose, le dimanche après-midi.
Par ailleurs, j’ai pu aussi échanger sur ces trois thèmes avec Baky Koné, l’ancien joueur international ivoirien, joueur professionnel de Lorient, Nice et Marseille, actuellement Président de la section professionnelle de l’ASEC Mimosas à Abidjan. Le retour de ces entretiens se fera sous la forme narrative.

La parole est donnée d’abord aux jeunes…

J’ai envie d’être joueur…, par Vickiro
Vickiro est un jeune ivoirien de dix-sept ans qui poursuit son cursus scolaire au collège de Gagnoa. Il est le second d’une fratrie de quatre garçons dont la mère s’occupe seule depuis le décès du père.
Je pratique le football dans mon quartier, au Maracana, Je joue dans une équipe qu’on a dénommée l’ASEC. C’est le samedi et le dimanche entre 14 et 18 heures. En fait, j’ai commencé à jouer en 2  015, j’avais une douzaine d’années.
C’est un ami qui m’avait demandé de venir jouer. J’aime bien jouer en défense, au centre.



Le football, cela me plaît d’y jouer et de retrouver les copains. C’est sympa, on rigole bien. J’aime bien quand on joue ensemble, qu’on se fait des passes. J’aime le foot, je m’éclate bien en y jouant.
Mais j’aime bien aussi regarder les équipes comme le Réal ou la Juventus ainsi que Chelsea lorsque les rencontres sont retransmises à la télévision, je les regarde sur mon téléphjone portable.
Quant aux joueurs qui sont des stars, qui gagnent beaucoup, j’aimerais bien être comme eux, cela fait vraiment envie  !
J’aimerais bien prendre une licence au Sporting Club de Gagnoa mais on n’a pas l’argent pour ça…



On n’a pas trop la chance…, par Carlos Messi
Carlos Messi est né au village de Mahibouo en 2 000. Il est donc âgé de dix-neuf ans, il suit des études en classe de première. Il compte bien obtenir son baccalauréat l’an prochain, pour poursuivre ses études et devenir fonctionnaire.
Le football, ça vient de la famille. Donc, j’ai vraiment commencé les matches de gala au village vers l’âge de dix ans entre bétés, baoulés, dioulas (burkinabés) et les abrons sur un terrain aux dimensions réduites.
Depuis 2013, à Gagnoa, j’ai joué au Maracana du quartier mais présentement, je me consacre aux études pour bien préparer le bac.




Quand, je joue au foot, je me sens à l’aise. J’aime entendre les supporters nous encourager, cela motive de jouer ainsi. Un match sans supporter, c’est une ambiance morte  !
Je suis porté par l’attaque. J’aime marquer mais j’apprécie encore plus de faire une belle et bonne passe.
Par contre, j’aime bien jouer la comédie. Si on me touche, je tombe, je fais comme si…mais c’est pour l’ambiance, pour rire un peu…
Quand, je vois un joueur comme Messi évoluer et quand je joue ce n’est pas le même jeu  ! Au village, les rencontres sont plus tendues que celles qu’on peut voir à la télé et cela peut même être assez violent. Le contexte est très différent, la tension n’est pas la même.
J’aurais aimé être un grand footballeur mais, ici, on n’a pas trop la chance  ! Car entre la formation dont on ne bénéficie pas, l’encadrement inexistant et les terrains quelconques, on développe des qualités mais on n’est pas forcément à l’aise, ensuite, sur un terrain de football à onze, et encore moins si on joue sur de l’herbe  !
Le football, c’est comme un rêve, mais ce rêve ne pouvant se réaliser, je me contente du plaisir qu’il procure  !



Le foot me fait du bien…, par Choky Iniesta
Chocky Iniesta est en fait un jeune burkinabé de dix-huit ans dont la famille a fui le Burkina-Faso pour des raisons de migration économique et de sécurité.
Il est avec sa famille au village de Drougroupalegnoa, situé à seize kilomètres environ de celui de Mahibouo.
Il ne peut poursuivre ses études, son dossier scolaire étant resté dans son pays d’origine. En conséquence, il aide sa famille aux travaux des champs et quand il peut, il joue au football, sa passion.
Mais, il joue dans l’équipe 2 du club de Djoulabougou.




Bien sûr, j’ai commencé à jouer au foot, vers l’âge de dix ans à Koudougou, ma ville d’origine. Ce sont mes grands frères qui m’ont entraîné pour jouer dans le quartier.
Arrivé en Côte d’Ivoire, j’ai repris tout naturellement pour finalement rejoindre une équipe de club. On a tout l’équipement du Barça et les matches ont un caractère officiel, de plus il y a aussi des entraînements collectifs avec un coach.
Le foot me fait du bien  : j’y joue tous les jours, quand c’est possible, vers 16 heures et on quitte vers 18 heures. Je suis défenseur, comme un libéro avec le n°5. Mon but, c’est de récupérer le ballon et de le redonner, de faire des passes pour que l’on puisse repartir de l’avant. Autrement, c’est d’éviter de prendre des buts  : c’est ça qui me plaît  !
Le football tel qu’il est, cela donne envie d’être comme les stars. Je me le souhaite mais cela risque d’être très difficile car on est dans l’anonymat. Il me reste les tournois, les matches, pour me faire remarquer. Mais, quand même, pour nous, c’est trop difficile  !




La parole est aussi donnée à un adulte…

On peut avoir passé la trentaine, être très occupé par ses fonctions professionnelles tout en étant bien pris par sa vie familiale, mais vouloir pratiquer le football sur l’aire de jeux du quartier  ! C’est ainsi que j’ai pu rencontrer un de ces adultes footeux du dimanche.
Le football est un moment spécial, par Fab, dit Capello


Capello, âgé de trente-six ans, marié et père de famille, occupe des fonctions de journaliste à une radio d’Abidjan. Il est de ceux qui pratiquent le football le dimanche après-midi dans un cadre informel. Cette rencontre s’est déroulée dans un maquis alors que le football du dimanche ne pouvait se dérouler, le terrain étant réquisitionné pour une manifestation.
Le football faisait partie de nos jeux d’enfants dans le quartier. C’est tout naturellement que cela m’est venu.
Après, j’ai regardé le football à la télévision pendant la Coupe du Monde de 1  990 en suivant des équipes comme l’Argentine avec Maradona ou celle du Cameroun avec Roger Milla. C’est ainsi que la ferveur du football m’est venue.
Puis comme beaucoup, j’ai joué au quartier. Mais, j’ai quand même fait deux ou trois essais dans des clubs. Je n’ai pas été retenu après les tests, alors je n’ai pas insisté.
Le football est un moment spécial. En fait, dans la semaine on est impatient de se retrouver. C’est un moment primordial du week-end. On joue à sept contre sept, sur un terrain style Maracaña mais sans les règles qui y sont appliquées car on met des gardiens de but. On y est vraiment pour le plaisir de jouer, de parler football, d’échanger sur le football et, en plus, de se faire des amis. Il y a un autre intérêt, si on change de quartier, c’est aussi un moyen de s’intégrer mieux et plus facilement.
Mais aujourd’hui, il y a trop d’argent dans le football, cela devrait être plus encadré. Le football est un commerce qui est devenu un business car c’est un marché prisé avec beaucoup d’acheteurs potentiels. Mais le footballeur est aussi devenu un business au vu des sommes d’argent gagnées.
Nous est loin de tout cela, mais il n’empêche que l’on vénère ou que l’on on admire des joueurs comme Messi ou Christiano Ronaldo.
A notre niveau, on voudrait mieux organiser notre football du dimanche, créer un club et pouvoir affronter d’autres équipes et d’autres joueurs que de seulement jouer entre nous.




La parole à un expert

Du jeu et du plaisir…, par Baky Koné

L’actuel président de la section professionnelle de l’ASEC Mimosas d’Abidjan a bien voulu, lui-aussi, se prêter au jeu des trois questions.
Il est évident qu’avec son passé de joueur professionnel et son actuelle expérience de président de club, il voit le football avec un peu plus de recul.
Le football, je suis tombé dedans  : c’était familial  ! La famille était fan de foot, même mes sœurs jouaient au ballon rond.
En fait, j’ai eu un ballon dans les pieds dès mon plus jeune âge.

J’ai été repéré lors d’une détection de quartier,ici, à Abidjan par Jean Marc Guillou,   pour intégrer l’Académie Mimosifcom   de l’ASEC Mimosas.
Bien entendu, tous mes entraîneurs avaient une conception du jeu, différente, soit mais à chaque fois on se devait de manier le ballon. Jouer, je savais, mais après chacun m’a apporté quelque chose dans la motivation à développer, le mental à avoir, pour se surpasser, à donner le maximum. Evidemment, il y a eu aussi des apports liés à l’aspect tactique, mais là il y avait plus de disparités.
L’évolution de ce sport est dépassée par l’importance de l’argent. Ce sport est pratiqué par des êtres humains. Les meilleurs joueurs sont ceux qui prennent plaisir, celui qui est capable de sortir de son schéma tactique, celui qui est capable d’improviser. Ceux qui pratiquent le football comme des gamins, à la recherche du seul plaisir qu’il peut procurer.
Alors, qu’aujourd’hui, beaucoup de joueurs donnent l’impression d’être dans un carcan, duquel ils sont incapables de sortir. Où ne pas perdre est devenu une priorité. Il faut pouvoir se lâcher, pour rendre le footballeur «  libre  »  !