Christian Gourcuff. Ma quête du jeu idéal. (ed. Amphora)


Ce livre est le produit d’une série d’entretiens, menés par Julien Gourbeyre, directeur de la revue «  Vestiaires  » _ qui s’adresse aux entraîneurs et éducateurs_ avec Christian Gourcuff, désormais retiré du football.
Les questions pertinentes du premier permettent à son interlocuteur de développer sa conception du football, tant ses principes généraux que leur application sur le terrain pour les équipes qu’il a dirigées.

Cette vision du football naît «  naturellement  » dans l’enfance  : le plaisir de jouer avec un ballon et de partager des émotions avec les copains dans ce qui est un sport collectif. Sa formation se poursuit comme joueur par l’expérience des équipes dans lesquelles il passe, celles où il se sent bien comme celle où il l’est moins. Grâce aussi à la rencontre d’hommes comme Jean Prouff, son entraîneur à l’US Berné en D3) et François Thébaud, rédacteur en chef du «  Miroir du football). Et aussi par le spectacle d’équipes qui expriment son idée du football  : le Brésil de la Coupe du monde 1970, le FC Nantes de Jean-Claude Suaudeau. Ces écoles,  ces maîtres, ces   modèles le renforcent dans ses convictions  : le football créatif, offensif est le meilleur moyen pour que les joueurs s’épanouissent dans un cadre collectif parlant une langue commune. Cet épanouissement de chacun contribue réciproquement à l’épanouissement de l’équipe, ce qui aura comme conséquence les résultats.



Ces idées, il les met en œuvre quand il devient entraîneur-joueur au FC Lorient à 27 ans pour une aventure d’une trentaine d’années, entrecoupée de petites interruptions dans d’autres clubs. Un club qu’il fera passer de la DH en 1982 à la D1 en 1998.
Comme entraîneur, il a le «  privilège  » selon ses mots d’avoir du temps pour ancrer ses orientations, de manière d’abord générale, peu rationalisée, avant de découvrir dans les années 1990 «  un modèle de jeu structuré  » à l’AC Milan d’Arrigo Sacchi. Il acquiert alors une doctrine globale conceptualisée ainsi que les méthodes d’entraînement permettant aux joueurs d’intérioriser ses principes pour les réaliser dans les matches. Et sa réflexion l’amène à choisir le 4-4-2 comme schéma tactique pour l’incarner  : «  Cette organisation m’apparaissait et m’apparaît encore aujourd’hui comme la plus cohérente sur le plan de l’espace. Elle est aussi, me semble-t-il, celle qui offre le plus de souplesse au joueur, de liberté, sous réserve de complémentarité entre les paires  ».

Ses options de jeu, son 4-4-2 étaient connus des amateurs de football. Mais tous les aspects pratiques qui en découlent, non. En réponse aux questions très précises et détaillées de Julien Gourbeyre, il se montre intarissable _ et passionnant_ pour expliquer longuement, de manière très pointue, tous les aspects de son choix.
Il établit d’abord pourquoi les autres «  systèmes  » (4-3-3, 3-3-3-1, 4-3-1-2 etc) lui semblent plus déséquilibrés dans l’organisation de l’espace. A l’occasion, il a fait des essais de certains, mais en revient toujours au 4-4-2, considérant qu’un système de jeu préparé à l’entraînement, avec ses souplesses, doit être à même de répondre aux problèmes posés par l’adversaire.
Le lecteur apprend ce qu’il recherche comme qualités, sportives et humaines pour chacun des postes d’une équipe  : le goal, les arrières centraux et latéraux, les milieux centraux et excentrés, les attaquants. Pour ces diverses lignes, «  l’harmonie et la complémentarité sont des éléments-clés du collectif  ».
Ensuite, on suit les principes de jeu donnés aux joueurs pour les deux principales situations se présentant sur le terrain: «  on a le ballon  »/«  on n’a pas le ballon  » et dans ce dernier cas, la récupération du ballon, avec à l’appui des schémas d’illustrations sur les placements recherchés. Cela exige une mobilité d’ensemble de tous les joueurs, et une pensée commune dans les déplacements, avec chacun dans son rôle à l’endroit où il doit être en rapport avec ses partenaires, tant en phase offensive que défensive, sans oublier l’anticipation permanente de la situation contraire susceptible d’arriver. Pas de recettes automatiques, au joueur de s’adapter, en faisant appel à son intelligence du jeu.
En toute logique, les entraînements sont constitués d’exercices visant ces différents cas de figures, variés (ceux exigeant de la concentration, d’autres plus ludiques), pas trop longs, rassemblant les aspects physique, technique, tactique, mental. Ceux-ci sont filmés pour montrer ensuite aux joueurs les bonnes et mauvaises réponses apportées dans chaque conjoncture.

Tout au long de cet ouvrage, à l’occasion de tel ou tel sujet, Julien Gourbeyre le pousse aussi à livrer sa pensée sur l’évolution du football pendant les quarante ans où il a exercé. Il y répond avec franchise, sans les faux-semblants de la communication, sans polémique non plus ni volonté de donner des leçons. Mais en parfaite cohérence avec ses convictions, comme l’a senti Julien Gourbeyre dans sa présentation.

En ce qui concerne précisément le jeu sur le terrain, il a constaté que la structuration tactique s’est imposée pour toutes les formes de football, à la place d’orientations certes présentes auparavant mais moins raisonnées, plus spontanées. Autre évolution, un physique plus intense, plus de puissance, des joueurs plus grands, en particulier en défense, «  comme dans les autres sports collectifs  », ajoute-t-il.


Ainsi sur le rôle de l’entraîneur  : il a pris un poids plus grand du fait de la structuration du jeu vue ci-dessus, mais il observe que ce temps qu’il a eu pour créer dans la durée une identité de jeu, «  le jeu à la lorientaise  », n’est plus laissé aux entraîneurs d’aujourd’hui à cause de la pression (des dirigeants, des supporters, des medias… et même des joueurs  !) pour des résultats immédiats, sous peine d’éviction. Il place très haut le travail de Pep Guardiola _ qui l’a amené d’ailleurs à certaines corrections dans ses idées_ parce qu’il a pu bénéficier d’un environnement favorable pour faire du Barça autour des années 2010 l’équipe la plus accomplie. Et cite également Guy Roux à Auxerre.
Il regrette que l’entraîneur ait de moins en moins le pouvoir de recruter les joueurs qu’il pense être les plus complémentaires dans l’esprit qu’il souhaite. Autre gêne dans son travail  : le «  turn over  » des joueurs lors des longs mercatos,  pendant la préparation d’avant-saison, au moment le plus fécond à ses yeux pour la construction de l’équipe, rendu imparfait en raison des joueurs en partance ou de l’arrivée tardive des nouveaux arrivants.


Sur un plan général, il a cette phrase, dans la lignée de François Thébaud  : «  L’évolution du football me semble indissociable de celle de la société  ».


Pour lui, la mondialisation de l’économie libérale tournée vers le profit (financier ou d’image), entraîne l’individualisme, la concurrence, ce qui est contraire à l’esprit collectif qu’il prône. Avec le concours des medias.
Il a ressenti, dans les dernières années où il a exercé, un décalage entre ses conceptions et l’individualisme chez beaucoup de joueurs.

Bien d’autres questions lui sont posées sur les progrès techniques survenus dans cette période (la VAR, la vidéo, les statistiques…), certaines plus personnelles vers la fin  : son image d’homme froid qu’on lui a souvent reprochée, ses rapports avec son fils Yohann (auteur de la préface du livre)
En conclusion, il est satisfait de son parcours pour les émotions qu’il lui a procurées, fier d’avoir été l’entraîneur qu’il voulait être. Etre en accord avec le parcours qu’il a accompli, dans sa «  quête du football idéal  »…

Ce livre mérite d’être lu par les entraîneurs et éducateurs, mais aussi les amoureux du football dans ce qu’il peut apporter de meilleur aux hommes.


Loïc Bervas